Mercredi 17 juillet 2019, dernière table ronde des 25es Controverses européennes. Pour conclure cette édition riche d’apprentissages et d’étonnements, tour d’horizon des pistes à explorer pour dépasser l’état de chocs. Non issus du milieu agricole, hors cadres familiaux, nouveaux entrants ou, tout simplement, néo-agriculteurs, en quoi rebattent-ils les cartes de l’identité ? Qui sont-ils, quelles sont leurs motivations et quelles difficultés ont-ils rencontré pour fonder une installation pérenne ? Loin de l’utopie, de l’édulcoré ou de l’effet de mode, la parole était d’abord donnée au groupe local constitué d’élus, d’agriculteurs et de membres d’associations. Et à présent, c’est au tour de Bruno Macias, agriculteur espagnol et d’Agnès Papone, agricultrice dans l’arrière-pays Niçois (ferme Lavancia) de partager leurs expériences de nouveaux-venus en agriculture. Avec, au fil de la discussion, les éclairages de Paula Dolci, doctorante en géographie et dont les travaux portent sur les mouvements de retour à la terre en Italie. Une table ronde animée par le sociologue Philippe Sahuc (ENSFEA) et qui a d’ailleurs fait l’objet d’un article dans la revue Sesame (novembre 2019), « Neo-agriculteurs : Tenez ferme ! ».
Une séquence à visionner en intégralité, ici :
Philippe Sahuc : Dans un premier temps, je laisserai le temps aux intervenant.es à cette table ronde de faire part de leurs questionnements, recherches, vécus, projets espérés et en cours. Je me tourne d’abord vers Paula Dolci, qui va vous parler de ses travaux sur l’installation « hors cadre familial ».
Des espaces à la marge
Paula Dolci : Merci. Je dirai quelques mots de ma thèse qui porte sur les mouvements de retour à la terre en Italie et les processus d’installation de ces nouveaux agriculteurs. Tout d’abord, un élément de contexte : malgré des convergences entre l’Italie et la France, notamment en termes de profils et de modes d’installation, il faut tenir compte des différences culturelles et institutionnelles qui persistent entre les deux pays. Ensuite, il y a, à l’origine de mes travaux, une multitude d’étonnements, parfois naïfs : à bien des égards, ces mouvements de retour à la terre peuvent sembler surprenants, voire paradoxaux. Comment se fait-il que de plus en plus de gens, notamment de jeunes, trouvent attractif le secteur agricole alors même qu’il est marqué d’une certaine répulsion, traversé par de grandes difficultés et régulièrement secoué par des crises ? Ou encore, comment expliquer ces mouvements de migration de la ville vers la campagne, alors que cette dernière est marquée par une certaine forme de déprise ? Reste le constat que cette reconversion vers le secteur agricole est à première vue liée à un retournement de représentations très fort, ces nouveaux agriculteurs charriant, véhiculant et réinvestissant un ensemble d’images anciennes. En résultent des installations qui peuvent paraître hors normes, à contre-courant par rapport au modèle dominant. En d’autres termes, je note que ces choix de vie se font au croisement de représentations collectives mais aussi d’aspirations individuelles.
Tout se passe comme s’il y avait une interrogation, par la marge, tant numérique que culturelle, de notre modèle de société. Culturelle, puisque l’on observe parfois l’intention revendiquée d’aller contre un modèle. Et, dans l’imaginaire, les espaces ruraux sont généralement identifiés à la périphérie, à la marge dans laquelle il est possible de construire autre chose. C’est comme si cette une marginalité spatiale permettait des expérimentations sociales, avec des espaces refuges, des espaces recours ou dérogatoires permettant à la fois de rechercher un ailleurs mais aussi l’autrement dans le mode de vie, le mode d’habiter, la façon de travailler.
Deuxième étonnement : la profession agricole est fortement empreinte de l’idée qu’on naît agriculteur et qu’on ne le devient pas. Pour expliquer l’arrivée de nouveaux agriculteurs dans la profession, certains sociologues parlent de déplacement social. Ainsi, lorsqu’un individu fait son entrée dans l’agriculture, il lui faudra bien souvent composer avec un manque de capital foncier, économique, social ou culturel. Quelles sont ses stratégies d’accès aux ressources et quelles sont celles dont il dispose déjà, du fait de ses expériences passées, qui pourraient être valorisées ? C’est la raison pour laquelle je parle de processus d’installation, dans le sens où celle-ci est très graduelle. Par exemple, la constitution d’un capital productif, qui se fait souvent par arrangements et bricolages, est extrêmement progressif. Exemple : en Italie, une part importante de ces installations a une existence informelle.
Merci. Je laisse désormais la parole à Bruno Macias qui construit un projet personnel en Espagne mais développe également un projet aux allures plus collectives en France.
Faire partie de la solution
Bruno Macias : Oui, en effet, j’interviendrai avec plusieurs casquettes : en tant que responsable d’une association en France, en tant que producteur de pommes à cidre dans le Nord de l’Espagne et enfin, en tant qu’agriculteur non issu du milieu agricole puisqu’à l’origine, je suis ingénieur et ai travaillé dans le secteur automobile et le monde du conseil. Un parcours assez atypique mais qui, dans le monde des NIMA, ne l’est pas tant que ça. Qu’est-ce-qui m’a donc amené à devenir agriculteur ? Il y a quelques années avec ma compagne, en nous intéressant au milieu agricole, nous sommes parvenus au constat suivant : avec la disparition de plus de deux cents fermes chaque semaine en France, à laquelle s’ajoute le difficile renouvellement de la profession, on a cru que l’on s’engageait sur la voie d’une agriculture sans agriculteurs. D’un autre côté, une part grandissante de consommateurs et d’agriculteurs pense que l’avenir de l’agriculture doit passer par une augmentation du bio et des circuits courts. Pour les uns, il s’agit de répondre à leur demande, et pour les autres, de vivre dignement de leur métier sans nuire à l’environnement. Or, forcément, cela demande plus de main d’œuvre que celle dont on dispose aujourd’hui. D’où ce paradoxe : on compte de moins en moins d‘agriculteurs mais, par rapport au modèle souhaitable pour l’avenir, il en faudrait plus. On s’est donc dit, essayons de faire partie de la solution. Dans un premier temps, nous avons créé l’association « Neo-Agri »[1] qui aide à promouvoir l’installation de nouveaux paysans et nous sommes fixés trois défis : le premier, revaloriser l’image du métier afin que les fils et filles d’agriculteurs reprennent les fermes mais aussi que des personnes non issues du milieu agricole entrent dans le métier et encouragent sa transition vers plus de bio et de circuits courts. Second défi : faciliter l’installation de ces derniers, car il s’agit là d’un véritable parcours du combattant. Ensuite, c’est bien beau d’installer ces individus mais encore faut-il que leur ferme soit viable et pérenne. Pour relever ces défis, nous avons entrepris un travail d’enquête de terrain. Durant un an, nous avons sillonné l’Europe, à la rencontre des paysans Français, Espagnols et Italiens, avec qui nous avons partagé du temps et appris le travail de la terre. De là, nous avons identifié les défis ou problématiques qu’ils avaient pu rencontrer mais aussi les solutions et les appuis dont ils avaient bénéficié. L’idée ? Capitaliser l’ensemble des conseils qu’ils donneraient à leurs successeurs. De ces expériences et enseignements, nous avons créé un guide pratique à destination des néo-paysans[2]. Nous travaillons également beaucoup sur les réseaux sociaux, animons des groupes de personnes non issues du milieu agricole ou porteuses de projets et proposons, pour ces dernières, des formations. Il arrive en effet que certaines d’entre elles aient une vision peut-être trop bucolique du métier agricole et de ce qu’il est nécessaire d’entreprendre pour créer une ferme pérenne. Reste un aspect non négligeable, si l’on veut faciliter leur installation, c’est de travailler avec les institutionnels, les gouvernements, les communes et les collectivités locales.
Ne pas tomber dans le piège de l’utopie
Nous y reviendrons. En tout cas, merci ! J’ai intérêt à ne pas trop en dire concernant Agnès Papone, tant elle a de choses à vous raconter au sujet de ce qu’elle vit avec passion.
Agnès Papone : Bonjour ! Je suis agricultrice bio dans l’arrière-pays niçois, en moyenne montagne, et heureuse et optimiste de l’être. Je dirais que l’on cherche à répandre l’idée que l’on peut être agriculteur et vivre son métier dans la joie, sans pour autant tomber dans le piège de l’édulcoré et l’utopie.
Comment en est-on arrivés là ? Pour ma part, c’était un pur hasard. A l’époque, après des études de santé publique en Australie, j’habitais à Johannesburg où je travaillais en tant que chercheuse sur le sida Et puis, avec mon mari, nous avons fini par nous retrouver dans le sud de la France, dans l’arrière-pays Niçois, un désert alimentaire où la déprise avait été violente. Pour vous donner un ordre d’idée, de 12 000 agriculteurs hier, nous sommes maintenant moins de 500. Par nécessité, donc, nous avons planté un potager. Et un an après, le parcours du combattant commençait.
Première difficulté : convaincre les autorités que derrière notre projet ne se cachait pas un dessein immobilier ou spéculatif et que l’on souhaitait réellement faire de l’agriculture. Leur réponse ? Que nous étions fous, que nous allions mourir de faim et que nous courrions à la banqueroute. Contre tout avis, et avec leur accord tacite – faute d’avoir pu nous l’interdire -, nous avons donc fini par nous installer en autocréation et avons monté une AMAP. Nous avons donc commencé avec un terrain de 3000m², et puis, d’année en année, voyant que nous étions des gens sérieux, les habitants du village ont commencé à nous prêter ou à nous louer les leurs. Résultat, nous avons aujourd’hui atteint les 2,5 hectares et produisons, en polyculture, une quarantaine de variétés de légumes, des fruits, mais aussi des œufs et une variété d’olive autochtone protégée, « la petite noire de Puget ». Reste que c’est un métier sacrément difficile, comptant des années avec, des années sans. Hormis sur ces fameuses olives, nous ne touchons pas d’aide de la PAC. Et lorsqu’il y a des années noires, comme en 2016, il n’est pas aisé de remonter une pente qu’on avait imaginée selon une progression linéaire. Autre fierté : à côté de nos activités de production, nous nous trouvons être un vrai centre de formation officieux, avec des gens qui viennent travailler à nos côtés, toute l’année. Attention, pas de woofers ! Et parmi eux, pratiquement 90 % se sont ensuite installés et continuent, en cas de besoin, à se tourner vers nous.
Feu de paille ?
Merci Agnès. Dans le fond, ces histoires d’installation hors cadre, ne serait-ce pas qu’une mode comme une autre, un feu de paille ? Car il y a de quoi s’interroger sur leur durabilité. Bruno Macias, une réaction ?
Bruno Macias : Deux choses, à mon sens. D’une part, parmi celles et ceux qui ont un projet d’installation, combien vont au bout ? D’après mes observations, pas beaucoup. Tenez, malgré la part croissante des personnes déclarant souhaiter s’installer, le nombre de nouvelles installations en France ne décolle pas. Deuxièmement, pour celles et ceux y étant parvenus, leur ferme est-elle pérenne ? La réponse est oui ! Plusieurs études, au rang desquelles celles de la M.S.A (Mutualité Sociale Agricole), montrent en effet que parmi les personnes ayant bénéficié d’aides à l’installation, 90% sont encore présentes. En définitive, si le projet d’installation est sérieux, cette dernière a toutes les chances de s’inscrire dans la durée. Mais alors comment monter un projet sérieux, loin des utopies irréalistes ? Aujourd’hui, lorsqu’on demande des aides, les contrôles sont si nombreux que l’on est obligé d’être carré, de faire un plan d’entreprise, de formation, etc. A noter tout de même que sur 14 000 nouvelles installations par an, il n’y en a que 4500 qui bénéficient d’aides ; on ne sait donc pas grand-chose des 10 000 restantes.
Il semble que l’hypothèse faite par les NIMA du groupe local, à savoir que l’on s’installe sur la base de valeurs, est complètement battue en brèche : ce que je comprends, c’est qu’il est plus question de pragmatisme. Agnès, qu’en pensez-vous ?
Agnès Papone : Je dirais que l’on a des valeurs pragmatiques. On parle de bon sens paysan mais nous ne sommes pas nés dedans : mes parents étaient profs et je n’ai jamais vécu à la campagne. J’ai simplement fait le constat que lorsqu’on a besoin de réparer son tracteur, et bien on retrousse ses manches et on met ses mains dans le cambouis. C’est la même chose pour tout le processus d’installation. Pour notre part, on n’a pas souhaité demander d’aide parce que la formation qui nous était imposée, pour pouvoir en bénéficier, ne correspondait absolument pas à nos besoins. En 2009, date à laquelle nous avons souhaité nous installer, il n’y avait pas de formation en maraîchage bio en montagne. Or voilà une valeur forte : jamais nous n’avons envisagé de faire autrement que du maraîchage bio. C’est pourquoi, d’un point de vue pragmatique, nous avons préféré nous former loin des canaux traditionnels, à travers des livres ou des plateformes comme Youtube et Vimeo.
Deux poids, deux mesures
Merci. Quand on parcourt l’Italie, l’Espagne ou le Portugal, qu’en est-il du poids de ces installations hors cadre familial par rapport à l’agriculture environnante, Paula Dolci ?
Paula Dolci : Je dirais que leur poids est avant tout médiatique, compte tenu de leurs capacités à agir sur les représentations. Au niveau local, on observera des dynamiques avec, comme dans votre cas, le développement de circuits courts ou de toute autre forme d’interactions entre les villes et les campagnes contribuant à faire changer les mentalités. Reste le problème de la dispersion de ces acteurs qui rencontrent des difficultés à se constituer en réseau, à s’organiser. Une difficulté à laquelle s’ajoutent toutes les autres.
Quelque chose à ajouter, Bruno Macias ?
Bruno Macias : Si aujourd’hui on estime qu’un tiers des agriculteurs sont non issus du milieu agricole, alors ils représentent un vrai poids. Surtout d’un point de vue très local. Imaginez, un agriculteur qui s’installe dans un petit village va potentiellement être accompagné de sa famille et ainsi permettre de faire vivre petits commerces et écoles. C’est énorme ! Et, d’un point de vue plus global, ces nouveaux paysans ont un rôle fondamental à jouer : ils produisent de la nourriture. Agnès, sur ta ferme, j’imagine que tu produis autant de légumes qu’un autre maraîcher pourrait le faire sur une surface plus grande. Nous avons donc un réel poids dans l’agriculture française ; je dirais même européenne, car on observe la même dynamique en Espagne.
Agnès Papone : Tout d’abord, je dirais que l’approche d’un « nouvel entrant », comme on dit en anglais, restera toujours différente de celle des agriculteurs issus du cru. Ce pour diverses raisons. Notre petite ferme familiale tourne avec deux salariés et, j’estime que dans notre village de 2000 personnes, nous sommes créateurs d’emplois. Ainsi, au lieu de dire « ils ont 2,5 hectares et ne pèsent rien dans la balance » je propose plutôt d’appréhender l’effet de levier d’une telle activité : avec 2,5 hectares, on nourrit cinquante familles qui paient leur panier en prépaiement, mais aussi de nombreux commerces équitables ; sans compter nos activités de formation et autres interventions qui ont, au-delà de leurs valeurs agronomique et économique, une forte valeur sociale. L’injustice serait donc de réduire notre poids dans l’agriculture à la seule production agricole, car nous produisons aussi des agricultrices et des agriculteurs.
Paula Dolci : Pour finir, j’ajouterai que lorsqu’on regarde les trajectoires, les motivations et les parcours des « nouveaux entrants », on remarque que leurs projets ne sont pas toujours très bien définis en amont du processus d’installation : la plupart sont avant tout fondés sur un engagement et des valeurs fortes. Notons qu’il est aussi beaucoup question de hasard, de rencontres ou d’aléas : parmi ces individus, beaucoup ont traversé une crise personnelle, existentielle ou subi de plein fouet la crise économique. D’où l’idée que ces aspirations de « retour à la terre » résultent bien souvent d’un subtil mélange entre un contexte socio-économique et des dispositions personnelles. Il serait illusoire, en effet, de réduire la question du parcours à une vocation qui se construirait sur le temps long. Une part importante de hasard s’y joue.
Échanges avec le public
Mathieu Gervais, sociologue : Les NIMA sont-ils militants politiques, associatifs, ou pas ? Merci !
Didier Bertholy, chef de projet Culture et Agriculture, Tulle Agglo : J’ajouterai juste une précision. On parle de NIMA, de hors cadres familiaux, or ce n’est pas tout-à-fait la même chose : « hors cadre familial » correspond à une catégorie juridico-administrative qui couvre un plus large spectre que les seuls NIMA. Par exemple, on peut tout-à-fait être hors cadre familial et être issu du milieu agricole. L’autre point, c’est que ces fameux non issus du milieu agricole sont parfois insaisissables et volatiles. Parmi eux, certains partent avec des projets pas très bien ficelés qui finissent de tout de même par aboutir tandis que d’autres, disons-le clairement, s’évaporent dans la nature. Reste que je m’interroge sur le renouvellement générationnel en agriculture : à l’échelle d’un petit territoire comme le mien, ce sont des milliers d’hectares qui vont se libérer dans les dix / quinze ans à venir. On ne pourra pas tout miser sur les NIMA !
Une dame dans le public : Avec mon mari, nous avons une ferme Terre de Liens, donc nous connaissons bien les NIMA. Et je dirais que dans notre milieu, où chacun est fort impacté par ses histoires familiales, ces individus, principalement des jeunes, nous apportent un éclairage et des questionnements nouveaux. Ces gens-là ont un réel souci d’enseigner le plaisir, la passion d’être paysan ; ils savent utiliser d’autres mots que ceux de la profession pour sensibiliser les personnes qui ne sont pas du tout dedans. Merci à eux, parce que ça apporte un appel d’air extraordinaire.
Le monde paysan ne laisse pas de place
Jacques Chèvre, néo-paysan retraité, Terre de Liens : A vous entendre, la vie serait un long fleuve tranquille et les NIMA accueillis comme le père Noël dans les campagnes. Or cela me semble très éloigné de la réalité. Tout d’abord, j’insisterai sur l’idée que nous croyons au poids que pèsent les NIMA dans les mondes agricoles, et à celui qu’ils pèseront dans l’avenir. Mais ce n’est pas le cas de la profession traditionnelle, celle qui est en place. Pour elle, nous installons des coudes troués, des futurs R.S.A – l’insulte suprême – et compagnie. Tenez, quand on passe par un espace test, on obtient un contrat C.A.P.E (Contrat d’Appui au Projet d’Entreprise), lequel permet de garder ses droits sociaux, si on en bénéficie, ou bien d’être au R.S.A. Ce, pendant les deux ou trois ans que dure le test. Du coup, beaucoup nous disent : « Vous voyez, votre truc ne fonctionne pas sans le R.S.A. » Alors quand cela vient de la part d’un céréalier qui a 400 hectares et qui touche cent et quelques briques d’aides de la P.A.C, ça nous fait bien rire parce qu’on est dans des échelles de financements publiques qui ne sont pas du tout les mêmes. D’ailleurs, j’aimerais qu’il y ait beaucoup plus de R.S.A qui s’installent et un peu moins de primes P.A.C. Ça rétablirait un minimum de justice, d’équilibre et de paysans dans les campagnes.
Qu’est-ce-qui nous pose problème ? A Terre de Liens, c’est d’abord l’accès au foncier. Allez m’expliquer pourquoi, d’un côté, tout le monde sait que le modèle agricole dominant a fait faillite du fait de son incapacité à se renouveler alors que, de l’autre, arriver à trouver trois hectares pour installer un maraîcher c’est une bataille incroyable. Chaque fois qu’un bout de terre se libère, il y aura toujours les J.A (syndicat Jeunes Agriculteurs) du coin pour se jeter dessus et ne laisser de place pour personne d’autre. Tout se passe comme s’ils avaient l’impression de trahir leur modèle ancestral s’ils laissaient trois hectares à un brave gars qui tente de trouver une petite place pour planter ses légumes. C’est insupportable, et beaucoup n’y parviennent pas parce que le monde paysan ne leur laisse pas de place. Dernière chose, terriblement injuste, c’est l’arme du financement. Pour accompagner les installations, à travers notre plateforme de compétences, on fait avec des bouts de ficelle, du bénévolat et des salariés enthousiastes. Alors que dans le même temps, en France, on continue à dépenser des fortunes pour l’installation : tout cet argent renfloue les poches des J.A qui travaillent à tout sauf à l’installation. Ils ne s’occupent que de leurs adhérents et à ceux-là ils disent : agrandissez-vous, sinon vous allez mourir !
Josette Marrant, ancienne directrice de la Chambre d’Agriculture de Dordogne : Jacques, concernant l’installation en Dordogne, je ne peux pas vous laisser dire ça. Le département a justement été pionnier en matière d’accompagnement des hors cadres familiaux. Parmi eux, beaucoup ne pouvaient effectivement pas bénéficier de l’aide habituelle à l’installation, soit parce qu’ils n’avaient pas la formation, soit parce qu’ils avaient passé 40 ans. Pour ces gens-là, nous avons donc tenté de mobiliser un financement et un accompagnement adéquats comme, par exemple, la création d’un prêt d’honneur via la plateforme « Initiatives de Périgord ». Au départ, nous étions seuls et comptions sur le financement des conseils régional et général. Puis, avec les crédits de l’Union Européenne, la région Nouvelle-Aquitaine a décidé d’étendre ce dispositif à l’ensemble de son territoire. Concrètement, en Dordogne, nous sommes aujourd’hui capables d’installer entre trente et cinquante hors cadres familiaux. Des petits projets mais également d’autres de plus grande ampleur comme des installations classiques d’élevage. A ce propos j’aimerais vous mettre en garde sur cette tendance que l’on a de mettre en avant, de manière générale, les petites installations. Je souffre un peu lorsque j’entends France Culture présenter la ferme du Bec Hellouin comme le modèle à suivre, car cela n’est pas représentatif de la diversité des projets que nous accompagnons.
De longs fleuves agités
Philippe Sahuc : Merci. Je vais désormais rendre la parole à nos trois intervenants. Agnès ?
Agnès Papone : Pour répondre à la question de Mathieu Gervais, nous sommes militants, c’est évident. Notre mairie était totalement adverse à notre installation agricole parce que, du fait de notre présence, la destination agricole des terrains était figée. Pour les conseillers municipaux, il n’était alors plus possible d’acheter les terrains en question pour les convertir en constructibles. C’est pourquoi ces derniers nous ont mis une foule de bâtons dans les roues. Pour tenter de mettre fin à cette corruption, nous avons usé de tous les droits possibles de préemption de la Safer (Société d’Aménagement Foncier et d’Établissement Rural) et sommes montés au plus haut niveau du conseil général, en leur disant « vous n’imaginez pas, on va empêcher des jeunes de s’installer ! » Or sachez que nous, on n’achète pas le foncier, on l’emprunte, on le loue, on le squatte. Tenez, on a un terrain au-dessus de chez nous qu’on est obligé de squatter parce qu’il s’agit une indivision et que ses propriétaires sont incapables de payer leur succession. Et, parce qu’elle manque de courage, notre mairie n’est pas capable de faire une procédure de bien sans maître. Cet espace est donc laissé à l’abandon. Donc, des longs fleuves tranquilles, je n’en ai pas vécus beaucoup.
Quant à ces histoires de R.S.A, autour de nous, sachez qu’une part considérable d’agriculteurs en bénéficie. Alors, à ceux qui disent que les légumes bio et les produits locaux sont trop chers, je leur réponds qu’en réalité, ils les ont déjà payés trois fois : par leurs impôts pour la P.A.C, en payant le RSA et en les achetant. Vous vous doutez donc bien qu’il faut être militant pour contester ce qui ne tourne pas rond dans notre politique ! Les adhérents de Terre de Liens sont des petites mamies, des épargnants, qui donnent des sous pour acheter des terrains et qu’on puisse accéder au foncier. Mais est-ce que c’est normal ? Moi je ne crois pas ! C’est un modèle à interroger. Il est aberrant de parler de « barrière du foncier ». Autour de moi, il y a des tonnes de terrains à l’abandon ! Il y aurait de quoi installer je ne sais combien de maraîchers de façon non vivrière, afin qu’ils gagnent leur vie. Or c’est impossible à cause de la P.A.C, car elle est frein à l’innovation. Et si l’on veut se charger nous, nouveaux entrants, d’innover, de mettre du sang neuf dans l’agriculture, il va falloir nous en donner les moyens.
Du militantisme à la terre
Paula Dolci : D’après mes observations, même s’il y a une prédominance de profils de petites installations avec, pour beaucoup, l’application de méthodes agroécologiques, je dirais que l’on a aussi affaire à une hétérogénéité des profils d’exploitation. C’est-à-dire que, même si c’est ce qui domine, on n’est pas forcément sur des modèles paysans. Par exemple, des nouveaux entrants qui auraient un profil entrepreneurial, comptant sur d’importants capitaux, peuvent envisager de faire du bio, non pas comme un engagement, mais plutôt d’après des considérations très pragmatiques de rentabilité. C’est pourquoi je préfère employer le terme de néo-agriculteur à celui de néopaysan.
Quant au militantisme, il est vrai qu’une part importante de ces néo-agriculteurs font partie d’associations ou témoignent d’engagements passés très militants. C’est d’ailleurs par ces réseaux-là que j’ai pu accéder à mon terrain, notamment à travers les mouvements de revendication des terres publiques.
Merci Paula !
Tomas Garcia Azcarate, chercheur au CNRS espagnol : Permettez-moi une comparaison. Imaginez que la fonction publique soit vieillissante, qu’elle peine à se renouveler et que l’on réserve l’accès aux aides aux fils de fonctionnaires, en les obligeant par ailleurs à racheter la table et l’ordinateur qui va avec. C’est exactement ce qu’on fait avec le monde agricole : cela fait cinquante ans qu’on installe des jeunes avec une politique de soutien et cela fait cinquante ans que ça dure. Et comme il est de coutume de dire dans mon gymnase : si tu continues à faire les mêmes choses, n’espères pas des résultats différents. Il y a un vrai problème avec la P.A.C telle qu’elle est aujourd’hui. Si la nouvelle P.A.C entre en vigueur en 2022, il y a là une vraie fenêtre d’opportunité, puisque l’on passerait à une stratégie avec des objectifs à atteindre au niveau national. Ne pourrait-on pas alors envisager d’élargir la politique d’installation des fils d’agriculteurs aux NIMA ?
Merci. Une autre intervention ?
Bruno Macias : Pour revenir sur une vision plus européenne, je dirais qu’en France, si je compare avec l’Espagne ou en Italie, on se plaint beaucoup mais on est quand même très bien lotis. Je pense à des organismes ou des associations comme la Safer et Terre de Liens, qui n’existent pas ailleurs. En Espagne, à chaque fois que je parle de la France, on me regarde avec des grands yeux en me disant : « Waouh ! Quel pays merveilleux, vous savez prendre soin de vos paysans ! » Là-bas, cela fait déjà dix ans qu’une association comme Terre de Liens (Terra Franca) tente de prendre, sans succès.
[2] https://www.editions-france-agricole.fr/livres-et-ebooks/collection-terragora/neo-paysans-le-guide-tres-pratique.html