Une contribution de Philippe Lemaire, ancien professeur et proviseur de l’enseignement agricole public. Petit-fils et neveu de paysans charentais.
L’expression « mondes agricoles » se justifie pleinement du fait de la diversité pédoclimatique et topographique de notre pays et des pratiques traditionnelles – diversité qui a fait naître un degré plus ou moins élevé d’isolement par rapport à l’évolution générale de la société française
La fin de la Seconde Guerre mondiale aurait pu concourir à limiter, voire résorber, le fossé traditionnel entre villes et campagnes, mais le souvenir – pénible – de sous-alimentation résultant du rationnement subi durant cet épisode tragique qui, de plus, avait largement privé le monde rural de ses bras masculins, a conduit à lui demander une production sans cesse plus élevée.
Pour cela, il a fallu utiliser tous les moyens disponibles, quitte à sacrifier les paysages (le remembrement), l’utilisation des sols et des troupeaux (intensification) et la préservation des ressources naturelles (sélection à outrance, usage massif des phyto et zoosanitaires).
Le monde agricole a su répondre aux attentes de la société d’alors, souvent réussir économiquement et s’organiser remarquablement sur le plan professionnel (structures collectives). Et devenir un acteur politique incontournable, pesant de tout son poids démographique sur les élections.
Finie donc l’image paternaliste d’une ruralité encensée par Vichy comme refuge des valeurs éternelles de la Patrie, place aux décideurs, aux chefs d’entreprise, aux organismes mutualisés, un choc culturel autant interne (l’écart entre régions favorisées et défavorisées s’accroît) qu’externe (l’exportation et la transformation prennent une place croissante dans la réussite économique).
Brillant dans son auto-organisation, le monde agricole oublie, en revanche, largement de communiquer alors qu’il souffre d’un lent déclin démographique et économique (exprimé en % du PIB national). Pire, il se tient à l’écart – par prudence souvent, par difficulté à communiquer aussi – des débats qui agitent la société, et que l’espace numérique a depuis intensifié brutalement.
Pendant ce temps, une autre coupure s’installe, avec de nouvelles générations qui n’ont plus de liens directs avec l’espace rural, voire s’en éloignent définitivement puisque, discrètement, l’exode rural continue de désertifier les campagnes. En parallèle se développe le mythe d’une « agriculture urbaine» capable de répondre à tous les besoins alimentaires d’une mégapole.
Et la métropolisation progresse silencieusement, générant de nouvelles inégalités (répartition des richesses) et cloisonnant à sa façon l’espace national (les communes rurales ne sont plus que des satellites sans vrai poids politique, ou des îlots éloignés des foyers d’enrichissement).
Les médias, d’abord ceux de la capitale, vont ainsi transcrire à leur façon – très distanciée – ce divorce absolument pas à l’amiable, autant par le texte que par l’image, alternant sans cohérence « bon vieux temps » et « temps nouveaux » selon la sensibilité de leurs auditoires/lectorats et des événements politiques et sociaux.
L’arrivée plus récente des néo-ruraux ne corrige rien, puisque la nouvelle population tend souvent à prendre les commandes de ce monde mixisé, greffant des préoccupations spécifiques sur celles de la population originelle. Cela se constate avec encore plus d’acuité dans les territoires qui sont également des zones d’accueil touristique, où se conjuguent dès lors des problèmes d’immobilier.
Ce qui est générateur d’oppositions plus ou moins exprimées et perturbe profondément la naissance d’une image satisfaisante du territoire, dont la composante majeure reste généralement agricole.
Enfin la montée continue des spécificités claniques de toutes origines (véganisme, spécisme, métropolisme, etc…) tend à opposer de plus en plus nettement population ultra-urbaine et population extra-urbaine, au détriment de la cohésion nationale.
Le monde agricole a ainsi de plus en plus besoin d’exister par ses propres moyens dans la sphère médiatique, de prendre en compte clairement les aspirations écologiques et de s’y impliquer sans hésiter, car il lui incombe en premier lieu la préservation raisonnée de la Nature, cette Nature qu’il a toujours su faire fructifier avec courage, lucidité et talent pour le bien de tous.
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