Prospectives : l’humain d’abord !

Par Dominique Michenot, ancien paysan aujourd’hui à la retraite, toujours militant à la Confédération Paysanne et impliqué dans deux SCIC, coopératives en lien avec l’installation en agriculture paysanne.

 

Parce que l’innovation, la prospective ne doivent pas se limiter aux technologies mais toucher aussi  l’humain et le statut social…

 

Le Collectif des Ronces est en réunion ce matin pluvieux des années 30, entre Nantes et Notre-Dame-des-Landes… Amélie, la responsable des chèvres laitières doit plancher sur l’extension de sa fromagerie, Julie et Marcel, les maraîchers, évoquer l’engagement dans la légumerie coopérative  du nord de Nantes, tandis que Frédéric,  le brasseur nouvel arrivé, et Pierrick, le paysan boulanger, veulent simplement faire déguster bière et petits pains spéciaux nouveaux…

Leur particularité ? Ni leur système de partage d’assolement avec les voisins, ni leur couverture intégrale des sols (semis sous couvert vivant), ni la complémentarité élevage-productions végétales, ni leur disponibilité pour les consomm-acteurs locaux grâce aux nouvelles technologies de l’information, ni leur mutualisation de la logistique livraisons en lien avec des coopératives de l’agroalimentaire… Ils sont tous salariés, entrepreneurs salariés et en même temps associés de leur SCOP agricole, et reconnus comme agriculteurs.

Presque tous venus réaliser leur projet de reconversion dans la production agricole, ancien gestionnaire de systèmes informatiques, responsable marketing ou cariste dans un entrepôt, ils ont réussi à s’installer sur une ferme laitière en bio, que l’ancien exploitant voulait absolument préserver des tentatives d’annexion par des voisins en quête d’agrandissement. Le retour inattendu du fils de l’ancien exploitant a rassuré les propriétaires inquiets de voir arriver ces jeunes urbains. Aidés au départ par la CIAP, Coopérative d’Installation en Agriculture Paysanne 1 qui en portant les premiers investissements leur a permis de parfaire leur parcours d’installation dans le cadre de la reconversion professionnelle, ils ont choisi, de garder le statut de salarié, malgré leur désir initial de trouver liberté et indépendance dans ce nouveau métier, tout en étant pleinement entrepreneur et associés dans leur petite coopérative… La loi  E.S.S. votée dans les années 10 et bien améliorée depuis,  leur permet d’être reconnus pleinement comme agriculteurs salariés, avec un  statut particulier d’entrepreneur… Leur envie de s’inscrire dans un cadre collectif tout en gardant leur part de liberté a trouvé une réponse dans le statut de SCOP agricole…Un homme, une voix, la recherche du consensus, tous co-gérants,  le partage des résultats  collectifs,  moitié  en réserve impartageable, le reste en participation des salariés aux résultats, la possibilité de changer de métier sans être obligé de monnayer  sa sortie de l’entreprise, ni la mettre en péril, un droit d’entrée limité à  5000 € de capital social,  des droits sociaux bien plus larges que ceux des agriculteurs non-salariés, une retraite correcte sans devoir compter sur une valorisation de leur patrimoine professionnel à la sortie, la possibilité de faire un break… mais aussi l’assurance pour les pouvoirs publics et collectivités que les aides annuelles accordées vont bien rester à l’entreprise et non s’inscrire dans le patrimoine privé des « patrons ».

De fait, les premières années de création de l’entreprise passées, en conjuguant résilience et autonomie du système de production et recherche permanente de valeur ajoutée par la valorisation locale, les résultats dégagés ont permis de verser des « salaires » corrects et d’augmenter rapidement les capitaux propres de la coop. Le dispositif de SCOP d’amorçage a permis de démarrer avec des capitaux extérieurs majoritaires un financement participatif de citoyens locavores et d’une CIGALE 2. De plus, les  nouvelles aides européennes, ciblées sur le paiement par la PAC  des «  biens publics » créés, abondées par les aides de la communauté de communes soucieuse  de la durabilité du territoire, ont sécurisé l’entreprise : reconnaissance de l’augmentation de la fertilité des sols( le taux de matière organique se maintient à plus de 5% dans ces terres noires)indicateurs de biodiversité  au top dans ce bocage préservé, jamais de sols nus, qualité des eaux de surface, pratiquement plus de pesticides et création d’emplois…A chaque nouvel emploi ( salarié stagiaire puis associé salarié) on recherche les améliorations possibles du système de production avant l’agrandissement. Et  petit à petit, la logique économique qui s’est imposée, une fois l’entreprise stabilisée, s’est écartée de la démarche classique (l’agrandissement par endettement) pour se centrer sur la recherche de valeur…

 

 

  1. CIAP : coopérative créée par les réseaux de l’agriculture paysanne en Loire-Atlantique, grâce aux fonds de la reconversion professionnelle des régions, qui, départementale en 2013, a rapidement essaimée sur l’ensemble du territoire et prend en charge chaque année une trentaine de stagiaires non issus du milieu agricole porteurs de projets innovants dans chaque département actif.
  2. Club d’Investisseurs pour une Gestion Alternative et Locale de l’Epargne Solidaire