Alliances improbables

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A la tribune des 25es Controverses européennes cette après-midi là, deux paysans et deux représentants d’ONG de défense de l’environnement. Leur point commun ? Avoir mené des projets en coopération avec des acteurs habituellement pensés comme antagonistes. Certains diront qu’ils ont pactisé avec l’ennemi. Et pourtant, au-delà des clivages habituels, de la représentation formatée de l’autre, ces trois retours d’expériences dessinent d’autres formes d’alliances. Témoignages de René Léa et Jean-Martial Morel, paysans, membres de l’association Koal Kozh, Dominique Aribert, LPO, et Lionel Delvaux, Fédération wallone Inter-environnement.

Kaol Kozh, prenez-en de la graine !

Kaol Kozh est une association bretonne qui promeut l’agriculture et les semences paysannes… et vend le fruit de sa production à l’enseigne Carrefour. Retour d’expérience par deux de ses membres, Jean-Martial Morel et René Léa, maraîchers bio, coprésidents de l’association.

Jean-Martial Morel : En breton, Koal Khoz veut dire « vieux chou » ; en russe, « bien commun ». Ça nous convenait bien comme nom pour une association de défense de l’agriculture paysanne. Notre objectif consiste à recenser et préserver les ressources végétales mais aussi à les mutualiser. Nous sommes donc très actifs sur la question des semences paysannes. Peut-être le savez-vous : pour être autorisée à la vente, une semence doit figurer dans le catalogue officiel français. Or les conditions d’inscription dans ce dernier sont plus restrictives qu’ailleurs dans l’UE, ce qui rend difficile l’inscription des semences paysannes notamment. Au sein de notre association se côtoient des jardiniers, des maraîchers, autrement dit des paysans capables de produire leurs propres semences. Comme il leur est impossible de les vendre, ils les échangent et facturent une prestation de service, ce qui est tout à fait légal.

La loi française indique que le don, l’échange et la vente constituent des actes commerciaux. C’est pour cette raison que nous avons créé une association pour échanger les semences. Grâce à l’Inra, nous avons accès à de très vieilles variétés libres d’utilisation car non répertoriées dans les catalogues de semences, que nous mettons en culture sur des parcelles test. Puis, nous sélectionnons des variétés hétérogènes que nous proposons ensuite aux maraîchers de l’association pour qu’ils puissent les multiplier et produire des légumes.

René Léa : Nous avons commencé à faire de la semence en 2002 lorsque nous avons remarqué que les catalogues de semences, y compris en bio, ne proposaient que des stérilités « mâles cytoplasmiques ». Or ces variétés hybrides sont souvent obtenues via des processus qui mêlent différentes espèces de végétaux. Par exemple, pour les plants de chou ou de brocoli, la caractéristique de stérilité mâle cytoplasmique provient généralement du radis. Pour nous, ces techniques relevaient clairement du génie génétique ; il s’agissait d’OGM. En tant que producteurs bio, nous n’en voulions pas, tout comme les consommateurs.

Le rapport de confiance entre paysans et consommateurs est primordial. Nous avons créé un cahier des charges intitulé « Bio Breizh » qui nous contraint à ne pas utiliser ces variétés. Au passage, nous en avons profité pour exclure de nos pratiques l’utilisation de serres chauffées ou, au contraire, inclure les haies. Le respect de ce cahier des charges est garanti par Ecocert ; quant au comité de certification, il regroupe paysans, représentants de la société civile, membres d’associations d’environnement et de consommateurs.

Puis, nous avons commencé à vendre nos légumes à Carrefour… sous certaines conditions. Premièrement, nous ne voulions pas que notre image « légumes issus de semences paysannes » soit utilisée à peu de frais. Je m’explique : quand Intermarché a fait la promotion des légumes moches, cela a fait beaucoup de buzz alors que l’enseigne n’en a vendu que 700kg. Nous avons donc demandé à Carrefour de contractualiser sur le long terme, pour une durée de cinq ans. Deuxièmement, nous ne voulions pas d’un contrat au rabais. Le groupe s’est ainsi engagé à payer les légumes un peu plus chers, pour financer le travail de sélection des semences par les producteurs, et pallier la baisse des rendements de ces variétés non hybrides. D’emblée, ils ont tout accepté là où les autres enseignes nous regardaient de haut et refusaient de mettre le prix. Certains diront que la grande distribution nous a utilisés. Je dirai que l’inverse est également vrai : nous les avons utilisés. Tous les ans, Carrefour nous achète de plus en plus de légumes. C’est un système qui contente tout le monde, environnementalistes et agriculteurs.

« Des terres et des ailes » : un programme pour tous les agriculteurs

Sensibiliser tous les agriculteurs aux questions environnementales et non pas seulement ceux engagés dans des démarches d’agriculture biologique. Tel pourrait être le pari du programme « Des terres et des ailes ». Témoignage de Dominique Aribert, directrice du pôle conservation de la nature à la Ligue pour la Protection des Oiseaux (LPO).

Dominique Aribert : Quelques mots à propos de la LPO. S’il est vrai que la Ligue s’est d’abord engagée pour œuvrer à la protection des oiseaux, son action s’est élargie pour s’intéresser plus globalement au maintien de la biodiversité. C’est bien celle-ci qui constitue notre champ d’action premier, non pas l’agriculture.

Historiquement, le rapprochement entre la LPO et celle-ci s’est opéré dans le grand Ouest à la faveur d’actions de protection des zones humides. Première étape dans les années 60-70, époque qui a vu fleurir plusieurs projets d’assèchement des marais de l’Ouest à des fins agricoles, et contre lesquels la LPO s’est engagée au nom de l’intérêt écologique de ces espaces pour les oiseaux. A cette même époque, le siège social de la LPO s’est installé à Rochefort, ville limitrophe de nombreux marais. Où en sommes-nous aujourd’hui ? Certains de ces marais sont devenus des réserves naturelles, souvent gérées par et avec la LPO. D’autres sont devenus propriété de l’ONG, celle-ci s’étant investie dans un programme d’acquisition de ces zones, principalement dans l’Ouest de la France et, dans une moindre mesure, dans les basses vallées angevines. Quant au lien avec l’agriculture, il est le suivant : ce sont souvent des espaces à vocation agricole. Les agriculteurs (principalement des éleveurs) se sont engagés à respecter des clauses environnementales permettant de concilier activité d’élevage et protection des oiseaux, particulièrement les nicheurs et les migrateurs.

Les choses ont commencé ainsi. Très vite a émergé l’idée qu’il y avait, au-delà des zones humides, d’autres zones d’importance en jeu. Cette volonté d’investir d’autres lieux a abouti à la création, dans les années 2000-2010 du programme « Agriculture et biodiversité ». Le bilan ? Nous avons travaillé avec cent-dix agriculteurs en France, souvent des professionnels déjà investis et sensibles aux questions de biodiversité. Autant dire, au regard de ces chiffres comme du type d’agriculteurs mobilisés, que nous n’avons nullement infléchi l’effondrement de la biodiversité. Comment inverser la tendance ? En multipliant les infrastructures écologiques – bandes enherbées, mares, bosquets…-, nécessaires au maintien des populations d’insectes et d’oiseaux dans les endroits où ils ont disparu, à savoir les grandes plaines céréalières, les vignes, les vergers. C’est là que la reconquête doit prioritairement avoir lieu.

Reste à discuter de la méthode. Philippe Mauguin expliquait hier qu’il fallait rendre de la visibilité aux agriculteurs. Je rejoins cette position. L’agriculture est, il est vrai, dans le viseur des associations de protection de l’environnement, en tant que système étant à l’origine d’une grande perte de la biodiversité et de la qualité de l’eau. Cela ne doit pas nous faire oublier les hommes qui travaillent sur ces exploitations et le fait que changer les pratiques agricoles présente un risque important. Les agriculteurs que nous rencontrons témoignent de cette difficulté mais sont néanmoins partants pour apporter leur pierre à l’édifice.

Deux ans ont été nécessaires pour élaborer ce projet en interne. Les débats n’ont pas été simples. Comme cela a été dit ce matin, il y a une forme de radicalisation et d’impatience au sein des associations sur les enjeux de climat et de biodiversité. Dans le champ agricole, l’échec du Plan Ecophyto aiguise les tensions. A la LPO, certains étaient contre l’idée d’aller travailler avec les « méchants » agriculteurs conventionnels qui usent de pesticides, au motif que ce n’est pas sain pour une ONG. Pourtant, tout n’est pas toujours simple. J’aimerais donner un exemple sur le glyphosate. Nous travaillons dans les plaines du Centre-Ouest, zones où vivent les outardes canepetières. Ces oiseaux de plaine, qui couvent au sol, sont devenus extrêmement rares dans ces régions. Contrairement à leurs voisins du Sud, plus nombreux, ceux-ci migrent en hiver vers l’Espagne. Actuellement, ils survivent grâce à la mise en place de zones de protection spéciale dans le cadre de la directive oiseaux et de mesures agroenvironnementales. Dans certaines cultures, du point de vue du rythme de vie de ces oiseaux, l’usage du glyphosate est parfois préférable au binage manuel. Cette réalité de terrain illustre bien la complexité des débats sur ces questions.

Personnellement, je crois qu’on peut travailler ensemble sans pour autant être d’accord sur tout. Nous sommes une association militante, dont certaines actions déplaisent aux agriculteurs. Pour autant, il ne faut pas s’interdire à priori de mener des projets communs. Voilà le pari que nous avons fait ; j’espère qu’il sera gagnant.

Stéphane Thépot : Hier assis à cette même place, Benoît Leroux parlait de dépolitisation des produits bio. Décririez-vous ce projet comme une dépolitisation de la LPO ?

Dominique Aribert : Faire de la politique n’est pas le rôle d’une association ! Le programme « des terres et des ailes » a pour principe la politique dite des petits pas, et non pas une transformation radicale, irraisonnable et irréaliste de mon point de vue.

Blé : mélodie wallone

Laisser une part de la production de blé aux oiseaux. C’est l’un des projets développés par la fédération wallonne Inter-Environnement.

Lionel Delvaux : Il y a un véritable pont entre ce que vient d’expliquer Dominique Aribert et les actions mises en œuvre par l’une de nos associations membre. Celle-ci a créé une filière pour valoriser une « farine mélodieuse », associée au maintien de blé au champ pour nourrir les oiseaux l’hiver. Cette filière a été initiée il y a cinq ans par une association qui avait une position assez radicale sur le monde agricole et travaillait uniquement avec les producteurs bio. Fait intéressant, il y a de cela deux ans, à l’occasion de l’évaluation de mesures agroenvironnementales, le procédé a été ajouté au régime des actions à développer. Désormais, tous les agriculteurs ont mis en œuvre cette pratique favorable à l’avifaune des plaines.

Inter-Environnement est une fédération environnementaliste dont les membres travaillent régulièrement sur des questions agricoles. Je ne sais pas si la situation est semblable ici mais, en Wallonie, nous observons une montée en puissance des ONG internationales – typiquement WWF et Greenpeace -, à l’échelle locale sur les questions de durabilité de l’agriculture, de biodiversité et de climat. Au sein de notre fédération, nous travaillons sur toutes les thématiques de l’environnement. Sur le volet agricole, ce sont vraiment les questions de crise climatique et de déclin de la biodiversité qui nous mobilisent. Un troisième élément s’y ajoute, plus social, notre agriculture étant extrêmement liée au marché international. Voilà pourquoi nous militons pour une reterritorialisation de l’agriculture. En effet, le contact entre le producteur et le consommateur va encourager le premier à s’engager dans une démarche agroenvironnementale, comme l’indiquent plusieurs études.

Nous avons beaucoup travaillé avec les fédérations agricoles, notamment l’équivalent wallon de la FNSEA, sur des sujets comme les OGM ou le dossier Natura 2000. Dans le premier cas, nous avons su convaincre les syndicats des enjeux Nord-Sud mais aussi des enjeux par rapport à l’intégration dans les filières pour leur propre secteur. Dans le second cas, la construction réglementaire autour des espaces Natura 2000 s’est opéré sur la base de discussions multi-acteurs, qui ont nécessité que chacun accepte de faire un pas vers l’autre, d’en entendre et d’en comprendre les attentes. De ce point de vue, nous avons vraiment dû mener un travail d’écoute des attentes et contraintes du monde agricole. Mais le jeu en vaut la chandelle puisque désormais, nous sommes dotés d’un régime qui protège réellement les habitats et les milieux naturels, par l’action conjuguée des objectifs fixés par la directive et celles voulues par les associations.

Autre enjeu actuel, les pesticides. Cela a été dit ce matin : il existe une réelle pression médiatique sur cette question, importée de de France. Les riverains nous sollicitent de plus en plus sur le sujet. Il y a, en Wallonie, une commune qui a vu sa prévalence du nombre de cancer augmenter très fortement. Si le lien avec l’usage des pesticides n’a pas été établi, ce surnombre a conduit les parlementaires à mener une mission d’information sur le sujet. Résultat : il apparaît que l’évaluation des risques pour les riverains est très insuffisante au niveau européen. Nous avons donc adressé le fruit de nos recherches à l’EFSA (European Food Safety Authority) et à l’agence fédérale d’évaluation. Par ailleurs, nous avons tenté de créer, avec les syndicats agricoles, une charte agriculteurs-riverains pour mieux penser l’utilisation de ces substances à proximité des habitations. L’expérience a été un échec. Il s’est avéré qu’il était très difficile d’avancer sur ces questions avec ces derniers dont la conception de l’agriculture reste étroitement associée à celle de productivité. Sortir du régime de l’efficience implique des compensations économiques. Nous n’avons pas su trouver ces mécanismes de compensation, d’où l’abandon des discussions autour de cette charte.

De ce point de vue, je trouve les expériences de terrain plus riches en ce sens qu’elles ne cristallisent pas des postures mais permettent souvent d’aboutir à des compromis intéressants. Le témoignage de Jean-Luc Bongiovanni en est l’illustration la plus parfaite. Son parcours n’est pas un cas particulier. Ainsi, pas plus tard qu’hier, un agriculteur wallon qui rencontrait de très grandes difficultés avec ses voisins, et plus largement les habitants de son village, a décidé de passer en agriculture biologique toutes les parcelles limitrophes d’habitation.

Le travail au niveau des fédérations et organes officiels est difficile car il se traduit souvent par des oppositions de postures. Mais sur le terrain, il existe véritablement un espace de négociation.

Échanges avec le public

Saadi Lahlou : En évoquant les liens avec Carrefour, René Léa a parlé « d’utilisation » réciproque. J’y vois pour ma part une coopération. Il est regrettable que les distributeurs soient absents de ce débat car ils sont un acteur important du système. Or aucun d’entre eux ne se pense fou ou méchant. Votre témoignage montre au contraire qu’il existe des terrains d’entente possibles et que l’on peut construire des choses ensemble dès lors qu’on accepte de ne plus être dans une posture d’ « antagonisme ». Quelle posture avaient les gens de Carrefour quand vous les avez rencontrés ? Etaient-ils eux-aussi méfiants ?

René Léa : Pourquoi ai-je employé ce terme d’utilisation. Tout simplement parce que, dans l’univers de l’agriculture biologique et des semences paysannes, les acteurs privilégient les circuits courts. Notre initiative a donc été perçue comme une forme « d’utilisation ». Vous avez néanmoins tout à fait raison, il s’agit bien d’une coopération. Tout le monde y a trouvé son compte. Dans notre groupe par exemple, bon nombre de producteurs étaient très motivés pour travailler sur les semences paysannes mais s’interrogeaient fortement sur les débouchés économiques et l’existence de marchés rémunérateurs. Nous avons trouvé ce marché via Carrefour. Concrètement, cela correspond à deux cents tonnes de produits l’an passé, trois cents cette année. Avec, en plus, cette sécurité : notre coopérative a pour maître mot la planification. Nous ne plantons que ce que nous sommes sûrs de vendre.

Jean-Martial Morel : Une précision. René évoque les actions menées avec l’association de producteurs Bio Breizh. Carrefour est allé plus loin que la simple contractualisation. Par le biais de leur fondation, ils versent 100 000€ chaque année pour nous permettre de poursuivre nos recherches et créer deux maisons de la semence paysanne, ce qui était un de nos objectifs premiers. Biocoop nous finance également à hauteur de 50 000€. Je suis membre du conseil d’administration du Réseau Semences paysannes. Personnellement, on m’a beaucoup reproché mon incohérence : il était difficile de comprendre que quelqu’un comme moi, qui produit sur deux hectares et livre soixante paniers par semaine, soutienne René dans sa contractualisation avec Carrefour. Pendant la pause déjeuner, nous avons discuté de l’accès au bio et aux produits de qualité. Tout le monde n’a pas la possibilité de faire ses courses à Biocoop. C’est devenu très cher et réservé à une certaine frange de la population. Si les gens moins friqués trouvent à Carrefour des produits bio et de qualité, disponibles en grande surface grâce à des gens comme René, tant mieux !

Antoine Messéan : Ces expérimentations sont très pertinentes. Néanmoins, je vais être volontairement provocateur. Un universitaire américain a étudié des expériences du même type et montré que les grands groupes finissent par phagocyter ces niches. Quelles évolutions voyez-vous ? Jusqu’à quel tonnage souhaitez-vous aller : dans dix ans, si vous poursuivez au même rythme, serez-vous à 200 000 tonnes ? Parfois les niches préfèrent rester petites au motif que, si elles se développent trop, elles vont saturer leur marché et perdre la valeur ajoutée acquise.

René Lea : Le contrat nous permet de bien baliser notre avenir. L’accord conclu avec Carrefour nous permet également de prendre ancrage auprès d’autres groupes pour leur expliquer notre démarche. Parallèlement, nous menons un travail de certification des légumes issus des semences paysannes qui reposera sur un cahier des charges au fonctionnement similaire à celui de Bio Breizh.

Jean-Claude Bévillard : Le fait de travailler avec des agriculteurs dit conventionnels suscite-t-il des débats au sein de la LPO ? Comment ces actions sont-elles perçues par vos sympathisants ? Avez-vous communiqué sur ces aspects auprès de vos donateurs ?

Dominique Aribert : Le projet est encore trop jeune pour être l’objet de communication. J’assimile ce travail à celui que nous menons plus globalement avec les partenaires privés car il soulève des interrogations du même acabit : avec qui doit-on s’engager ? Quelle doit être notre déontologie ? Nous restons cependant une association militante. Concrètement, ce n’est pas parce que nous travaillons avec des agriculteurs, que nous trouvons des compromis sur certains points, que nous ne poursuivrons pas certains de nos combats, par exemple ceux concernant l’extension des retenues d’eau pour l’irrigation du maïs. Vis-à-vis des donateurs, notre discours est plutôt axé sur les aspects de conservation. L’environnement est un sujet très anxiogène. Aussi tentons-nous de mettre l’accent sur les réussites à l’instar de la réintroduction des vautours. On ne peut pas être tout le temps dans la complainte.

Stéphane Thépot : Quels sont les étapes suivantes de ce type de projet ? Allez-vous, après les producteurs, travailler avec les industries agroalimentaires ?

Dominique Aribert : L’idée est effectivement d’arriver à travailler avec les filières ou les coopératives pour engager ce changement. C’est pour cette raison que je parle de label éco-environnemental. Nous voyons bien sur le terrain que beaucoup souhaitent tendre vers cette certification. Bien évidemment, on vise plutôt le niveau 3, celui de Haute Valeur Environnementale1. Mais ces choses-là prennent du temps et nécessitent un accompagnement.

Stéphane Thépot : Cette question se pose-t-elle également en Wallonie ?

Lionel Delvaux : Nous travaillons déjà avec les secteurs de l’agroalimentaire pour faire évoluer les pratiques et avons même développé un label relatif à la durabilité. L’agriculture relève également des pouvoirs publics. De ce point de vue, l’enjeu consiste à accompagner le changement des politiques publiques pour réussir la transition des systèmes agricoles. Les outils comme la labellisation pèsent bien peu au regard de ceux apportés par le FEADER par exemple, le Fonds européen agricole pour le développement rural. On demande souvent aux citoyens de fournir un effort pour défendre les biens communs que sont la biodiversité, le climat et l’agriculture, via un système de labellisation privée. Nous préférerions que ces critères soient intégrés aux pratiques agricoles, avec une labellisation soutenue par le régime de la PAC. Ce n’est malheureusement pas le cas.

Une participante. J’aimerais revenir sur la question du dialogue social et du risque d’exposition des riverains aux pesticides. Vous avez parlé d’accords locaux qui se mettaient progressivement en place. Pourriez-vous nous en dire plus ?

Lionel Delvaux : Différents collectifs existent au niveau local. J’ai parlé d’une commune qui a fait la Une des médias mais d’autres connaissent ce même phénomène d’une plus grande prévalence des cancers. Plusieurs associations de riverains se sont constituées pour dialoguer avec le monde agricole sur ces questions, même si ce n’est pas toujours évident. Dans certains cas, cela a abouti à la mise en place de bandes enherbées. D’autres agriculteurs vont adapter leurs pratiques et passer en agriculture biologique dès lors que la parcelle jouxte les habitations. Les choses bougent. Elles bougent d’autant plus facilement en local quand l’agriculteur est bien intégré dans sa communauté. Ce n’est malheureusement pas toujours pas le cas. Par exemple, nous avons des patatiers originaires de Flandre qui gèrent cinquante hectares. La culture de la pomme de terre nécessite environ vingt-cinq traitements de pesticides. La région concernée est très urbanisée, avec des « bandelettes » d’habitation le long des champs. L’interface entre agriculture et habitat y est très vaste. Dès lors que l’agriculteur ne réside pas sur un territoire, n’en côtoie pas les habitants, il est beaucoup plus difficile de l’amener à modifier ses pratiques. Voilà pourquoi j’insiste sur la reterritorialisation de l’agriculture en tant que levier possible pour enclencher la transition. Malheureusement, la tendance est plutôt à l’agrandissement des exploitations et la sous-traitance par des entreprises agricoles, ce qui appellent d’autres leviers, réglementaires notamment.

Venons-en aux chartes régionales discutées avec les syndicats agricoles. Au fil des négociations, nous nous sommes aperçus que les syndicats souhaitaient utiliser cette charte pour défendre un cadre réglementaire jugé suffisamment important alors que les études montraient que le niveau d’exposition des riverains aux pesticides était supérieur à ce qui est prévu dans le cadre réglementaire. D’où la difficulté à trouver un compromis… Finalement, nous avons abandonné l’idée de signer un document puisqu’il n’allait pas suffisamment loin dans la protection des personnes. Nous avons préféré organiser le dialogue au niveau local, la commune offrant une échelle plus pertinente et performante.

1 Selon le Ministère de l’agriculture, « la certification environnementale des exploitations agricoles répond au besoin de reconnaître les exploitations engagées dans des démarches particulièrement respectueuses de l’environnement ». Elle comporte trois niveaux, le plus élevé étant le niveau trois, de « Haute Valeur Environnementale ». https://agriculture.gouv.fr/certification-environnementale-mode-demploi-pour-les-exploitations

Sur la photo, de gauche à droite : Dominique Aribert, Lionel Delvaux, Jean-Martial Morel et René Léa.

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