L’irruption des nouvelles technologies dans l’agriculture pose, comme à chaque fois au long de l’histoire, une foule de questions. Elles ont été listées lors du Lab des Controverses européennes à Bergerac. C’est Jacques Chèvre, agriculteur, qui a peut-être le mieux pointé du doigt le champ des questions. « Lorsque je regarde ces nouvelles technologies, je m’interroge toujours : En quoi vont-elles m’aider à être plus autonome ? En quoi vont-elles me rendre plus dépendant ? » À sa manière, il illustrait l’une des questions posée en filigrane des débats : Quelle place pour l’homme, et l’agriculteur, au milieu des machines et des technologies ? L’une des craintes évoquées, celle du grand remplacement des travailleurs par les machines fut évoquée. L’économiste marocain Najib Akezby insistait ainsi : « Les grandes entreprises que nous avons au Maghreb attendent les outils et les robots que vous êtes en train de développer pour se séparer de leurs travailleurs, des syndicats et de tous les problèmes qu’ils posent, et ce sera un problème pour vous ! » François Brun (ACTA) tempérait ce jugement : « Il ne faut pas croire que la robotisation va forcément remplacer des travailleurs et des emplois existants. On voit aujourd’hui que les secteurs où l’adoption de ces outils et techniques est la plus rapide sont des secteurs où il est difficile parfois de trouver des salariés. » Christian Germain (Bordeaux SupAgro) abondait dans ce sens. « Lorsqu’on regarde les carottes bios, le désherbage d’un hectare peut occuper une quarantaine de personnes qui arrachent à la main les mauvaises herbes. Personne ne niera que c’est pénible, on ne peut pas faire abstraction de ces questions-là. » Marie Desmaison, étudiante à Bordeaux SupAgro, piochée dans le panel des « digital natives » invités à s’exprimer sur leur vision de notre ère numérique, ne cachait les interrogations nées de sa formation en AgroTic. « C’est une question qui me soucie que celle de la place de l’agriculteur dans ce monde-là. L’agriculteur exerce un métier traditionnel, est-ce que ces armées de robots ne vont pas lui enlever une partie de son métier ? »
Transparence
Ce point de vue était partagé par Patrick Denoux, professeur de psychologie interculturelle, faisait un détour par l’histoire industrielle pour requalifier le mouvement à l’œuvre. « Comme nous l’avons vu dans l’industrie, l’automatisation correspond à une dépossession des compétences professionnelles du travailleur. On a regardé comment il travaillait, on a décomposé ses gestes et on les a fait réaliser par des machines. Peut-être assistons-nous à la même chose dans l’agriculture ? » Autour de ces interrogations viennent en plus se greffer des problématiques juridiques liées à la propriété des données générées, collectées, à leurs utilisations, les fameuses conditions d’utilisation. Toute chose sur lesquelles le citoyen lambda, partant, l’agriculteur, a bien du mal à avoir une prise, fut-elle minime… Revenant dans la discussion, André-Yves Portnoff, conseiller scientifique de Futuribles posait les limites qu’il faudrait instruire, pour préserver les hommes. « Il faut que la recherche française s’intéresse à la transparence de ces technologies, de l’acquisition des données, pour être sûrs que nous ne sommes pas manipulés par d’autres. C’est une question de souveraineté : au service de quoi et de qui est cette intelligence artificielle ? Est-ce que nous allons remplacer l’homme par des robots pour l’accomplissement de tâches répétitives au profit de l’économie de spéculation ? Ou est-ce que nous allons remplacer l’homme par des machines dans des tâches qui n’apportent pas de valeur pour qu’il puisse travailler autrement et justement créer plus de valeurs ? » Mais finalement, ne rejouons pas déjà nous une partie connue s’interrogeait Jean-Marie Serronie, agroéconomiste. « Il est question de substitution du travail par le capital. N’est-ce la même chose que ce que nous avons vécu au sortir de la guerre avec l’arrivée des tracteurs dans les campagnes ? »
Yann Kerveno.