Par Gaillard C.1, Mougenot C.2, Petit S.3
Les promesses de la génomique
La mise en œuvre de la sélection génomique constitue une étape majeure dans l’histoire de l’élevage bovin. Innovation tant scientifique que technique, cette méthode permet d’évaluer directement le potentiel génétique d’un animal à partir d’une simple prise de sang, et cela à un stade très précoce. Elle conduit ainsi à s’affranchir des schémas de sélection sur descendance, longs et coûteux, qui évaluent la valeur génétique d’un taureau reproducteur à partir des performances de ses descendants. Gage d’une augmentation plus rapide du progrès génétique du fait d’une précision accrue et de la réduction de l’intervalle de génération, la sélection génomique permet également de mieux prendre en compte des caractères faiblement héritables mais néanmoins essentiels à la pérennité de la production. De même, elle permet d’élargir le noyau des candidats reproducteurs et donc de préserver la variabilité génétique menacée par une surutilisation des meilleurs taureaux indexés sur descendance.
Un contexte libéral
Le testage sur descendance avait été instauré dans un régime coopératif et public. En revanche, la sélection basée sur des outils génomiques intervient dans un environnement économique de libéralisation des marchés et de la concurrence souhaitée par le droit européen. En conséquence, les structures de sélection ont été récemment privatisées. Elles participent aujourd’hui au mouvement du big data dans lequel de véritables enjeux se créent autour de la production de données et de leur précision. C’est donc une véritable révolution qui s’accompagne de nombreux changements de nature à modifier les pratiques des acteurs, qu’il s’agisse de la multiplicité des informations liées aux nouveaux outils, de la rapidité de leur renouvellement, de l’élargissement de l’offre génétique, mais aussi d’une incitation accrue à l’utilisation payante de biotechnologies associées.
Suivre le changement
Pour comprendre comment les outils génomiques s’imposent peu à peu dans les pratiques de sélection et avec quelles implications, nous menons une recherche sur le terrain de la race Montbéliarde en Franche-Comté auprès d’éleveurs, d’inséminateurs et de techniciens-cadres des entreprises de sélection.
L’innovation génomique est particulièrement perceptible au niveau des mâles où le choix des taureaux est désormais majoritairement assuré par les entreprises, grâce à une gestion informatique permettant de maitriser la consanguinité. Pour autant, les éleveurs sont partagés entre leur adhésion à l’innovation et une certaine hésitation quant à la valeur des reproducteurs proposés. La multiplication exponentielle des taureaux évalués et disponibles induit chez eux une perte de maîtrise de la sélection. Même s’ils restent attentifs au suivi des animaux issus de ces accouplements, ils se trouvent dans une relation de dépendance accrue aux entreprises de sélection. Côté femelle, l’innovation vient bousculer leurs pratiques de tri pour le renouvellement, avant tout fondées sur l’observation et le pedigree de l’animal. Les éleveurs utilisent peu le génotypage, le réservant aux femelles ayant les meilleures origines et ils restent perplexes face à cet outil coûteux dont le résultat entre parfois en contradiction avec leur propre évaluation. Le portrait génomique de la vache « samée » (évaluée grâce à la Sélection Assistée par des Marqueurs) tend à se substituer à leur coup d’œil. Cette technologie qui promet de détecter l’animal d’élite touche en fait au cœur du métier d’éleveur, le « savoir trier », source de satisfactions autant que de risques. Car l’animal échappe parfois aux meilleurs pronostics de l’éleveur et de la technique, ou surprend et se révèle dans ses capacités alors qu’il n’était pas attendu ; il met ainsi en échec les signes et les indices.
Tous dans la course au progrès ?
Les propos recueillis nous donnent de percevoir différentes configurations, où chacun semble rechercher son propre compte dans le changement en train de se faire. La sélection génomique est « proposée » aux éleveurs selon un processus d’alliances, de doutes et parfois de résistances. Sa diffusion s’appuie sur des relations historiquement fortes entre l’éleveur et l’entreprise de sélection notamment à travers une médiation essentielle exercée par les inséminateurs. Premier rouage de l’utilisation des taureaux génomiques, les inséminateurs par leur proximité avec les éleveurs, favorisent l’intégration de cette innovation, voulue « à bénéfices réciproques », et celle des technologies associées, de l’utilisation de semences sexées à la transplantation embryonnaire. A terme cependant, la sélection génomique s’inscrit dans une reconfiguration de l’organisation comme de la pratique de sélection, qui externalise le choix des reproducteurs autant mâles que femelles aux entreprises de sélection. Pour ce qui concerne les femelles, les stations de donneuses en plein essor proposent en effet des prestations de transplantations embryonnaires.
Cette perspective n’est pas sans questionner le savoir-faire de l’éleveur ainsi engagé dans une voie de standardisation génétique. Ne l’éloigne-t-elle pas de ce lien au vivant qui fait le cœur de son métier de sélection et par là même de l’intérêt et des défis qu’il lui procure ?
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Sur le même sujet, lire également l’interview d’Antoine Doré (INRA) dans la revue SESAME : Elevage, des performances mises à l’index