Par Eric SCHMIDT, Directeur de projet, IAD (Institut de l’Agriculture Durable).
La question posée en ces termes cristallise les doutes de la société. Copier la nature n’est-ce pas être en opposition au progrès technologique, facteur de l’émergence d’une société moderne ? Ou, au contraire, copier la nature n’est-ce pas la prochaine étape du progrès humain, celle du bio-mimétisme ?
En fait, ni l’un ni l’autre. Ou les deux à la fois.
La référence à la technologie n’est pas le mouvement impérieusement nécessaire à l’évolution de l’humanité. A contrario, le retour à l’essence de nos origines ne représente pas non plus l’unique modèle de sauvegarde indispensable à la survie de notre planète, et donc de notre existence.
Admettons que, s’il n’y a pas de vérité révélée, la symbiose avec l’Homme et la Terre est un nécessaire retour à la compréhension de notre savoir. Copier la nature, c’est donc faire acte de connaissance.
On peut dès lors poser la question de la relation de l’agriculteur à la nature en ces termes : l’Homme réalise-t-il son humanité contre la nature ou en conformité avec celle-ci ? Étonnez-vous. Si l’homme réalise son humanité, cela signifie qu’il en est l’auteur : ce ne peut être que contre la nature. L’individu resté au stade de l’opinion, des images et des représentations de sa conscience spontanée, toujours prisonnier de la caverne, transforme ses désirs en connaissance. L’Homme dans la Nature est comme un empire dans un empire. Il trouble son ordre plutôt qu’il ne le suit car il a sur ses propres actions un pouvoir absolu et ne tire que de lui-même sa détermination. Il travaille à transformer la nature en monde.
Dès lors, si le paysan travaillant en agriculture de conservation des sols est un rétrograde, il est surtout éclairé. Il reconnaît que la nature n’est pas nue à l’inverse des sols labourés. Mais si la compréhension des mécanismes de transfert biologiques entre les végétaux et les micro-organismes présents dans les sols sont encore balbutiants, le retour vers des pratiques de non labour est l’acceptation que l’intelligence ne s’exprime pas d’abord dans la domination de la nature pour la transformer.
Imaginons humblement que le paysan, comme le ver de terre, est un auxiliaire de culture, mais un auxiliaire pensant. L’Homme et la Terre sont un tout. Le paysan doit alors retrouver sa place pleine et entière parmi les processus symbiotiques qui engendrent la croissance de la plante, car il en est un des maillons. L’agriculture de conservation des sols procède de cette pensée.
Celui parti à la découverte de l’infiniment grand aux confins de l’Univers, celui explorant l’infiniment petit des particules subatomique, se confrontent tous deux aux mystères des origines. Pourquoi le paysan en lien avec les mystères de la vie ne serait-il pas confronté à cette même puissance qu’il ne sait pas nommer ?
La sagesse, c’est de se connaître soi-même et de se questionner sur sa place dans le grand ordre des choses, sans tenir pour vrai ce qui ne l’est pas.
L’Homme est un animal raisonné. S’il peut rendre intelligible une chose par la seule force de la pensée, sans la recevoir de l’extérieur comme un fait brut, inexpliqué, relatif à notre point de vue limité, alors cette idée est juste. Sans nier ce que nous sommes et sans renoncer au progrès mais en corrigeant ses excès. En donnant toute sa place à la nature.
Cultiver, ce n’est pas savoir. Cultiver, c’est connaître.
Eric SCHMIDT, Directeur de projet de l’IAD (Institut de l’Agriculture Durable).
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