Intensif ! Ça va fermenter !

Par Philippe Godin, auteur du rapport n°200 du Sénat “Agriculture Horizon 2050″, en ligne. Par ailleurs, il est l’un des contributeurs de “La Sécurité Alimentaire Mondiale“, de l’Académie d’Agriculture, piloté par Jean-Louis Rastoin : “L’essor des systèmes alimentaires territorialisés (SAT) dans le monde“.

 

Comment voulez-vous que ça ne soit pas intensif ? De plus en plus de monde et de moins en moins de ressources disponibles ! Mais pas une agriculture intensive en intrants de synthèse pour atteindre ces rendements ! Une agriculture intensive en savoir-faire, en savoirs, en connaissances, notamment biologiques ; une agriculture qui ne s’appellera peut-être plus « agriculture ». La vie, ça grouille ! Et il faut se grouiller !

Photosynthèse, sols couverts, vers de terre, bactéries et champignons, rotations longues et diversifiées, cellulose et lignine, légumineuses, ruminants et arbres, paysages multisensoriels aux couleurs et aux odeurs admirables peuplés d’insectes, d’oiseaux et… d’hommes : des biosources ! Sur terre, mais aussi dans les océans ! De plus en plus de « digital natives » qui changeront les pratiques agricoles, alimentaires et culinaires grâce au numérique et à la robotique. De la biodiversité, qui ne peut se concevoir sans des territoires, même si ces derniers s’interpénètrent : ce qui veut dire des régions « continentales » et des régions « locales » … ce qui implique des échanges.

Voilà pour une idée de scénario général. Mais il faut compter avec un scénario buissonnant, et sans cesse renouvelé, à chaque « présent » ! Avec des accélérations et des débâcles ! Des prospectives de poètes rêvant au jardin planétaire et des épisodes autoritaires, mettant la Chine au dessus, l’Inde en dessous, les Amériques quelque part, l’Afrique tout prêt de chez nous et l’Europe on ne sait où ! Et l’Amazone, le Congo, Bornéo ! L’antarctique et le septième continent ! Autrement dit : des sortes de scénarios qui se superposeront dans le temps et dans l’espace ; sans retour, car il n’y a pas de régénération : la vie essaie tout et passe ; et les hommes vont le comprendre.

Chez nous, d’ici 2050, ce sera « ag tech + food tech » ; conseillerez-vous à vos enfants d’être agriculteurs ? La moitié de la production agricole sera le fait d’un quart de  « grands bioculteurs » travaillant en co-farming pour optimiser biologiquement la production de biomasse totale ; un autre quart produira un quart de la biomasse, sous un modèle voisin de l’artisanat et privilégiant ce dont rêvent les citadins d’aujourd’hui : « bio » et circuits courts, avec transformation à la ferme. En fait, cette moitié d’agriculteurs auteurs des trois quarts de la production convergera vers une véritable agroécologie. Et ils n’auront été agriculteurs que la moitié ou le quart de leur vie professionnelle, car ils auront aimé faire autre chose,  agriculteurs parfois fantômes. Les autres, l’autre moitié, n’auront pas pu s’extraire correctement des contraintes dans lesquelles ils sont aujourd’hui.

En 2070, la majeure partie, forcément issue des villes, aura stoppé les dégradations de la fertilité des sols et de la biodiversité générale ; beaucoup auront enclenché des processus d’ « aggradation » : les vers de terres, les insectes, les oiseaux et les poissons seront de nouveaux compagnons et tous produiront une biomasse jamais atteinte : il était temps ! Cependant, les convulsions d’échanges de marchandises et de populations n’auront pas cessé, prenant ça et là des tournures inégalitaires paradisiaques ou catastrophiques.

Les expérimentations d’agroécologie et de fermes urbaines (parfois vastes) auront-elles conduit à une biosphère en équilibre ? Bien improbable ; mais on peut imaginer que tout aura été fait pour que l’humanité ne disparaisse pas en 2100. A la suite de spasmes brutaux, peut-être que certains auront initié une trajectoire qui mène à une population aussi nombreuse qu’on l’imagine aujourd’hui, mais avec des hommes (plus petits, en bonne santé, mais plus heureux qu’aujourd’hui, forcément) d’une biomasse diminuée de 20%, sans obèses ni faméliques. Comme au bon vieux temps à Bergerac.