Comment s’orienter dans la transition ?

La notion de transition écologique, qui a progressivement supplanté celle de développement durable, exprime la nécessité d’adapter nos économies et nos sociétés (modes de vie, action publique, démocratie…) au respect des limites de la biosphère. Mais cette première vision, plus normative que descriptive, ne nous dit pas comment s’orienter dans la transition. Elle ne nous renseigne pas sur l’entrecroisement de changements multiples en période de fortes incertitudes, sur les dynamiques entrelaçant des processus aux échelles et aux temporalités multiples, sur la complexité inédite qui ouvre simultanément des questions techniques, scientifiques, économiques, politiques, sociales, éthiques. Elle ne témoigne pas de la pluralité des mouvements (villes en transition, décroissance, locavores, slow cities, buen vivir, etc.), de la multiplicité des expérimentations citoyennes (que le programme Cit’in[1] entend plus spécifiquement étudier) et de la variété des politiques publiques qui se réclament de l’action pour la transition écologique. Il convient dès lors d’interroger les différentes conceptions de la transition, la diversité des points de vue des acteurs qui portent la notion, de distinguer les cadres théoriques à son origine, de préciser les clivages entre les différentes écoles de pensée.
Deux questions ont retenu plus spécifiquement la première séance du séminaire de lancement du programme cit’in, qui a eu lieu le vendredi 23 mars 2018, autour de la question : « Comment s’orienter dans la transition ? »

En premier lieu, les diverses conceptions de la transition ont des implications politiques et scientifiques différentes qu’il convient d’interroger. Pour l’élaboration des politiques publiques, les diverses conceptions mobilisent différemment la prise en compte des possibles, les irréversibilités écologiques et les limites planétaires, les temporalités de l’action, la définition des objectifs et l’appréhension des conditions pour les atteindre dans les contraintes de temps définies, les forums de délibération démocratique sur le choix des chemins à emprunter… Elles appellent des types de recherches assez différentes, dans lesquelles la veille et la prospective, l’analyse des conséquences des mutations en cours, la compréhension des dynamiques, des conditions et effets des actions à mettre en œuvre, l’évaluation des capacités d’adaptation ou de résilience, l’analyse des effets de seuil et des risques de ruptures, des incertitudes, n’occupent pas la même place.

En second lieu, chaque conception de la transition porte une façon d’entrer dans le futur, de le catégoriser, endosse une fonction performative et de cadrage des futurs, qu’il convient de questionner en se demandant d’abord en quoi la fabrique des futurs participe-t-elle à la transition écologique ? Les diverses conceptions de la transition n’agencent pas de la même manière les différents pôles de la fabrique des futurs : la prospective, l’innovation technoscientifique, les expérimentations citoyennes d’autres alternatives, les irruptions et inventions diverses de la nature elle-même. Or ces agencements définissent diverses manières d’expérimenter le futur et de le penser comme levier de configuration du présent, différents régimes d’anticipation contraignant l’action ou ouvrant au contraire notre pouvoir d’agir. Il s’agit alors de revisiter la prolifération des futurs dans notre présent, de questionner la façon de fabriquer les futurs, de les pluraliser et d’ouvrir les trajectoires d’avenir, d’interroger les cadrages dominants, parfois implicites, qui viennent limiter notre capacité à penser des trajectoires alternatives, de prendre en compte les résistances et contre visions qui leur sont opposées.

A retrouver la vidéo des débats avec :
– Jacques Theys, politologue, président de l’association Serge Antoine, ancien responsable du service prospective au ministère de l’environnement et du développement durable, pour un exposé intitulé : « Quatre conceptions de la transition et leurs conséquences politiques et scientifiques »
Céline Granjou, directrice de recherche en sociologie au Laboratoire ÉcoSystèmes et Sociétés En Montagne (LESSEM) de l’Irstéa Grenoble, pour un exposé intitulé : « Politiques de l’anticipation environnementale : la fabrique des futurs»
– Et Francis Chateauraynaud (en photo), directeur d’étude à l’EHESS, directeur du Groupe de sociologie pragmatique et réflexive, pour un exposé intitulé : « Le futur a encore besoin de nous ! Batailles (ar)rangées autour des ouvertures d’avenir ».

https://citin.hypotheses.org/212

On peut, à partir de cette page, également télécharger, si l’on préfère, le compte rendu du séminaire (textes des interventions et discussion).

[1] Le programme de recherche Cit’In étudiera les expérimentations conduites dans les territoires à l’initiative des citoyen·ne·s et des acteurs locaux et explorera les manières d’apprécier et de valoriser la contribution de la société civile et de la participation citoyenne à la transition écologique et énergétique.