Une révolution nécessaire

Une révolution mentale et sociale est nécessaire

par Hervé le Stum, retraité d’organisations professionnelles agricoles

Il appelle à une nécessaire “révolution mentale et sociale” afin de guérir la société française, malade “de son refus de l’économie”.
Bien que notre contribution aux 18èmes Controverses sur la modernité de l’agriculture [1] soit passée quasiment inaperçue – trop ringarde ? – il nous parait piquant de la prolonger à l’occasion de la question posée cette année.

Dans l’inconscient populaire de toute la société française, de l’extrême gauche à l’extrême droite, des ruraux comme des citadins, et même de la quasi totalité du syndicalisme agricole, être agriculteur, ce n’est pas être vraiment un acteur économique ne vivant que de son activité. Être paysan c’est d’abord un “état” (tout comme être curé) qui ouvre des droits. Le dernier exemple en date de cet état d’esprit est la réaction des viticulteurs de l’Aude qui, furieux contre une société de vins chiliens qui exploite intelligemment les possibilités de sponsoring du Tour de France, menacent de bloquer la course et dont le président, Frédéric Rouanet, demande sur France Inter, le 10 mai à 13h, qu’une loi empêche la Société du Tour de France, société privée, de promouvoir des produits non français. Dans ces conditions, il semble illusoire de penser qu’une éventuelle solution aux problèmes agricoles de notre pays dépende de l’agriculture, de ses organisations et de son activisme.

Le problème est plus global. La société française d’aujourd’hui est malade de son refus de l’économie. Comme le montre très bien Jean Peyrelevade [2] dans son “Histoire d’une névrose, la France et son économie” [3], le maladif besoin d’égalité des Français depuis la Révolution de 1789 a étouffé, dans notre pays, la liberté d’entreprendre et jeté l’opprobre sur tout enrichissement, fut-il mérité ! Il n’est pas normal d’être plus riche que son voisin, en revanche, c’est « bien » d’être pauvre ; dans notre société, un bouseux du Massif Central a droit à plus de considération de la part de nos concitoyens qu’un riche céréalier picard. Et pourquoi, disait Alexis Gourvenec [4], un éleveur de porcs ne pourrait-il pas être plus riche qu’un céréalier ? Ce qu’il a fait.

Bref, une très grande partie de notre problème agricole est dans le regard assez original, dans un monde qui ne pense pas vraiment comme nous, que porte la société française sur l’économie en général, que ce soit la macroéconomie politique ou les principes de gestion d’une entreprise, et par conséquent sur l’agriculture.

La solution ? Difficile à imaginer, certainement pas agricolo-agricole ! Mais c’est là qu’on peut rejoindre un autre problème fondamental de la société française : celui de l’enseignement. Améliorer la situation suppose d’agir à tous les niveaux.

D’abord, au cours de leur formation, faire comprendre la réalité du monde aux enseignants, y compris ceux du primaire, car leur rôle est le plus fondamental, le plus noble et le plus estimable qui soit. Ils doivent prendre conscience de combien est importante la valeur créée par les emplois du privé, agricole compris, puisque c’est uniquement par un prélèvement sur cette valeur que leur activité, si essentielle, est reconnue et rémunérée. Par curiosité, cherchez donc le mot “économie” dans les programmes des ESPE (Ecoles Supérieures du Professorat et de l’Education).

Qu’ensuite les cours d’économie soient renforcés et obligatoires pour tous les élèves dans le secondaire. Michel Rocard, à la fin des années 80 du siècle précédent, déplorait déjà l’inculture économique des Français. Que l’enseignement professionnel soit intellectuellement revalorisé au moins au même niveau que les “Lettres Classiques”. Que l’apprentissage en entreprise soit rendu naturel. Tout jeune devrait sortir de son cursus avec la conscience de l’importance de l’économie, du rôle de l’entreprise, de la plus microscopique à la plus gigantesque, de son propre rôle en tant que citoyen, pour créer de la valeur et donc entretenir et améliorer les conditions de vie de tous et de chacun.

Qu’enfin les Universités cessent de se reproduire sur elles-mêmes en ne formant que des enseignants de grande qualité. Qu’elles s’ouvrent sur le monde. Qu’elles s’interpénètrent avec les entreprises. Qu’elles obligent leurs étudiants à travailler à l’étranger pour qu’ils prennent conscience qu’on ne pense pas partout comme en France. Qu’elles participent à leur niveau à la création de valeur.

Alors, peut-être, si tout se passe bien, dans 25 ans, regardera-t-on les problèmes agricoles autrement qu’aujourd’hui !

Mais pourquoi y a-t-il donc un tel mépris de l’économie en France ? C’est aussi en repoussant, dénigrant et niant le profit “parce que l’économie doit être au service de l’Homme et pas l’inverse”, qu’on fait travailler l’économie contre l’Homme. Comme en beaucoup de choses, ce sont les excès qui sont condamnables, pas les multiples petites réalisations quotidiennes. Il ne faut pas oublier ce qu’aurait dit Monsieur de la Palice qui s’y connaissait en matière de bon sens : pour partager un gâteau, il faut que quelqu’un se soit donné la peine de le confectionner.