Vers une rupture éthique

Vers une rupture éthique pour réussir la transition agroécologique

Par Philippe Cousinié, Ingénieur agronome (agronomie tropicale et économie agroalimentaire), économiste et animateur national du réseau thématique « Agronomie Ecophyto » et membre du comité de pilotage d’OSAE (osons l’agroécologie). [philippe.cousinie@educagri.fr]

Philippe Cousinié explique que sous sommes aujourd’hui conduits à établir une révolution épistémologique pour penser le monde complexe face à la pensée dominante « réductionniste ». Cela amène a une transition anthropologique et donc éthique qu’il instruit en trois questions : Pourquoi un changement d’état d’esprit est décisif en agriculture et en alimentation et donc à l’échelle sociétale ? Comment contribuer à un changement de posture éthique des acteurs de l’agriculture en général ? Quelles sont les conditions nécessaires à une rupture du système de pensée productiviste et réductionniste dominant ?
Les controverses sur les modèles agricoles et alimentaires de 2015 nous ont amené à mettre l’accent sur une rupture radicale : celle du changement d’état d’esprit ou de posture éthique (Freire, 1996), indispensable pour faire transition et pour amener le monde vers des systèmes alimentaires durables et résilients (Gliessman et al, 2015). Nous aborderons trois questions pour exprimer ce changement de paradigme que nous pensons nécessaire à l’échelle individuelle, sociétale et mondiale. Nous sommes aujourd’hui conduits à établir une révolution épistémologique (Altieri et Toledo, 2011) pour penser le monde complexe face à la pensée dominante « réductionniste » (Hess et Bourg, 2016). Cela amène a une transition anthropologique (Arnsperger, 2016) et donc éthique.

Pourquoi un changement d’état d’esprit est décisif en agriculture et en alimentation et donc à l’échelle sociétale ?
La transition agroécologique s’appuie fondamentalement sur une transformation de la relation homme-nature (Hess, 2013). En effet, nos représentations et nos postures éthiques impactent directement dans nos décisions à prendre à tous les niveaux du champ de l’agroécologie : production, transformation, distribution et consommation. Or, à partir de travaux sur la transition destinés à transformer les systèmes alimentaires (Gliessman et Rosemeyer, 2010) ; Stephen Gliessman distingue 5 niveaux de transition allant vers une rupture ou un tournant à l’échelle mondiale (Gliessman, 2016) :

  1. Efficience : améliorer l’efficience des pratiques conventionnelles pour réduire l’utilisation des intrants.
  2. Substitution : substituer les pratiques et les intrants conventionnels par des pratiques alternatives.
  3. Reconception : reconcevoir les agroécosystèmes sur la base de processus écologiques.
    Durabilité des systèmes alimentaires : nouvelle culture et économie de la durabilité avec une intégration aux systèmes alimentaires (du champ à l’assiette).
  4. Système alimentaire global durable : changement des systèmes de croyance, de valeurs et d’éthique pour un système alimentaire global durable.
  5. Le passage d’un niveau à un autre suppose un changement progressif de posture éthique pour consommer autrement. C’est là, la rupture décisive pour passer au quatrième niveau de transition.

Comment contribuer à un changement de posture éthique des acteurs de l’agriculture en général ?

Nous faisons l’hypothèse qu’une éthique appliquée à l’agroécologie apporterait des réponses fondamentales pour changer d’état d’esprit en proposant un nouvel équilibre dans les relations homme-nature (Leopold, 1949), nature-culture (Pierron, 2009) et société-nature. Nous nous appuierons sur 5 valeurs cardinales, rattachées à des questionnements agroécologiques, qui font consensus : responsabilité (Pinsart, 2015), solidarité, autonomie (Altieri et Nicholls, 2014), conscientisation écologique (Robin et Aeschlimann, 2007) et gestion du territoire (Berque, 2000).

Quelles sont les conditions nécessaires à une rupture du système de pensée productiviste et réductionniste dominant ?
L’enseignement d’une éthique appliquée à l’agroécologie constituerait une voie décisive de conscientisation écologique. Les apports de l’éthique environnementale (Larrère, 2002), du développement durable (Pierron, 2009), de l’éthique des sciences (Toulouse, 2002), de l’éducation (Freire, 1996), de la compréhension (Morin, 1999) et des soins (Boff, 2002) sont précieux pour aller dans cette voie. Cette approche éthique serait une ressource clé pour aborder les questions socialement vives, les compromis et les controverses en contribuant à une approche interdisciplinaire et systémique nécessaire pour gérer la complexité et faire évoluer nos choix et nos décisions vers un équilibre homme-nature. La dynamique de l’agroécologie reste donc intimement liée au changement de posture éthique.