Accompagner l’alternatif

Renouvellement des générations et des modèles de production agricoles : Accompagner l’alternatif !

Par Denis  Michenot, agriculteur à la retraite.

Dans son texte, Denis Michenot rend compte d’une initiative originale de portage agricole et d’aide au démarrage pour tous ceux, issus ou non de l’agriculture, qui portent un projet alternatif en matière d’installation : les Coopératives d’installation en agriculture paysanne. A suivre !

Le réseau de coopératives d’installation en agriculture paysanne (CIAP) est une démarche qui, si elle ne revendique pas d’emblée une rupture avec le présent, sort nettement des sentiers battus. Né en Loire-Atlantique, en pleine extension dans toute la région, ce réseau vise à répondre aux enjeux de renouvellement des générations et de création d’activité agricole en s’adressant à des porteurs de projets non issus du milieu agricole, parfois âgés de plus de 40/45 ans. Le critère : un parcours d’installation innovant privilégiant le soutien d’un groupe local et l’insertion dans un territoire. Les leviers proposés ? Le droit à un statut lié à la formation ou à la reconversion professionnelle dans le cadre d’espaces tests ; la possibilité d’installation progressive en couveuse d’activité, avec possibilité de portage financier des premiers investissements.

Pourquoi viser les acteurs n’ayant aucune attache familiale agricole ? Non seulement parce que la seule population agricole ne sera pas en mesure d’assurer le renouvellement générationnel, mais aussi parce que ces « nouveaux venus » s’inscrivent généralement dans un mouvement social diffus, bouillonnant, en quête de respect environnemental, d’autonomie, d’indépendance, de lien avec le vivant, d’un mode de vie en phase avec l’urgence climatique. Autant de démarches individuelles qui peuvent s’inscrire dans un cadre collectif… Sans oublier que c’est aussi leur permettre d’aller jusqu’au bout de leur projet de création- et souvent de reconversion- de façon professionnelle, en exerçant un véritable métier. Le plus souvent en rupture avec les modèles conventionnels de production agricole, la plupart de ces créateurs d’activité ont bâti un projet pleinement alternatif, incluant nouvel outil de production, transformation et vente directe des produits, activités annexes et valorisation d’ « aménités positives ».

Autre originalité : des stagiaires en voie d’installation sont parfois entrepreneurs- salariés pendant leur période de portage en couveuse. Cette idée, issue du monde des SCOP en milieu ouvrier ou artisanal, pourrait faire exploser la notion même du statut des agriculteurs : c’est la possibilité pour un futur installé d’être salarié, associé d’une coopérative de production agricole, donc co-gérant tout en étant reconnu comme agriculteur, au même titre qu’un associé de GAEC ou d’EARL. La mobilité est ainsi facilitée au cours d’une trajectoire de vie. D’autre part, les aides publiques étant attribuées à la coopérative et non au patrimoine privé de l’entrepreneur, les résultats accumulés sont tout ou partie acquis à la coop au bénéfice des générations futures. Enfin, notons que nous proposons un droit à la protection sociale comme pour tous les salariés ( sécu, retraite, chômage, reconversion…).

Pour pallier le fréquent manque d’ouverture du milieu agricole, qui supporte mal de partager avec d’autres acteurs de la société les questions d’occupation du territoire, d’environnement ou d’alimentation, les créations d’activités et les installations sont accompagnées et parfois co-financées ( Cigales..) par des groupes de paysans, ainsi que par des associations et citoyens de l’Economie sociale et solidaire, en lien avec des collectivités soucieuses de relocaliser les productions alimentaires…Ainsi, même individuels, les projets se fondent dans une dynamique collective, via une coop ancrée dans un territoire. .

Certes, certains institutionnels ne manquent de critiquer les CIAP, leur reprochant d’installer des amateurs, voire des « rigolos ». Difficile à croire dès lors que des financements bancaires leur sont débloqués au terme des stages préalable à l’installation définitive… Surtout, demandons-nous si le véritable « professionnalisme », plutôt que de se nicher dans le conservatisme, ne réside pas aujourd’hui dans la remise en question de modèles de production agricole conduisant à de nombreuses impasses économiques, environnementales, sanitaires etc. Non, n’est pas forcément amateur celui qui change d’approche et porte un projet de société s’attachant à placer les besoins des citoyens consommateurs au centre de l’activité agricole et alimentaire, recréer de la confiance, revitaliser les territoires ruraux et remettre l’emploi au cœur des politiques agricoles.

Pour aller plus loin, lire le bilan des CIAP dressé par l’auteur.