Changement, ici et maintenant

Le changement, c’est ici et maintenant.

par Gérard Rass, Secrétaire général de l’Apad (Association pour la Promotion d’une Agriculture Durable), fidèle contributeur aux Controverses de Marciac.

Gérard Rass nous offre un papier clair et net dénonçant le manque de réalisme des décideurs et leur proposant d’y remédier lors d’une première rencontre à Marciac avec les agriculteurs qui font le changement, chez eux, dans leurs champs. Puis Gérard Rass invite la Mission Agrobiosciences à organiser tout au long de l’année une « Université aux Champs », une sorte de formation continue pour partager expériences et références, et faire, ensemble, la chasse aux mythes les plus bloquants. Message reçu !
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Ma thèse, à la lumière de l’expérience de l’APAD [1], tient en trois points :

  1. Ce qui bloque le changement souhaitable de la société française vers le développement durable, c’est le manque de réalisme des décideurs.
  2. On peut trouver le moyen d’y remédier assez facilement.
  3. Cela peut se décider ici et maintenant lors des Controverses de Marciac 2016.

 

Le système français de prise de décisions est dominé par des leaders d’opinion, élites intellectuelles qui pilotent les institutions, qu’elles soient de recherche et d’enseignement, ou d’administration de la chose publique, ou politiques, et on peut y rajouter les grandes entreprises privées du CAC 40, ou semi-publiques héritées de l’époque des entreprises nationales ou d’économie mixte.

Dans ce jeu très politique et institutionnel, les patrons de PME, artisanales ou agricoles, ne pèsent que très peu. Occupés qu’ils sont à faire survivre leurs entreprises et à faire tourner l’économie réelle, ils ont très peu de temps pour développer stratégies collectives et influence.

Les intellectuels réfléchissent entre eux, dénoncent ce qui ne va pas et proposent leurs solutions, qui selon les écoles de pensées, sont plus ou moins sociales, libérales, ou écologistes.

Leurs doctrines, leurs idéologies, ont en commun d’avoir un ancrage historique, de répéter des schémas connus, de peu se remettre en cause face aux faits de la vie réelle. Les débats tournent le plus souvent autour de la répétition d’idées toutes faites, de mythes, qui deviennent vérités par leur répétition, dont l’acceptation par le plus grand nombre est révélée par la fameuse phrase « tout le monde sait que »…

Quelques exemples de mythes auxquels les agriculteurs de l’APAD, pratiquant l’Agriculture de Conservation des Sols, se heurtent de la part de donneurs de leçons de tous ordres : « on n’arrête pas le progrès », « les technologies vont nous permettre de progresser vers la durabilité », « les biotechnologies, c’est l’avenir », « idem pour l’agriculture de précision, ou les technologies informatiques », « il faut revenir aux méthodes traditionnelles », « le travail du sol est bon pour la terre », « le travail du sol désherbe », le travail du sol limite les parasites », « la nature est bonne », « autrefois c’était mieux », « les produits naturels c’est bien », « la bio c’est parfait », « les pesticides c’est mal », « toutes les agricultures ont leur place », sous-entendu « elles se valent toutes »…

Face à ce déluge de leçons, issues d’un monde intellectuel très prescriptif, très descendant et très conceptuel, il y a ceux des agriculteurs qui les écoutent et en dépendent pour leurs décisions. Et donc pour leurs résultats. C’est la majorité. Qu’ils soient « conventionnels » ou « alternatifs », dans tous les cas leurs résultats sont limités par la pertinence des modèles et des doctrines qu’ils appliquent et par le système organisationnel qui les crée et les sert. Système à bout de souffle, en témoignent les crises environnementales et économiques.

Ceux qui devraient intéresser la société et les décideurs, ce sont ceux qui font mieux que la moyenne, ceux qui ont une réussite minimale d’abord pour eux-mêmes et leur entreprise, et dont les exemples sont reproductibles à plus grande échelle. Que leur réussite soit économique, sociale ou environnementale. Idéalement les trois en même temps.
Or ils existent, ils font mieux pour eux-mêmes, et en plus ils produisent des résultats intéressants non seulement pour eux-mêmes et l’économie de leurs territoires, mais aussi pour leurs collectivités, leurs concitoyens et la planète, en produisant services de l’alimentation, de l’eau, du climat, de la biodiversité, et même de l’énergie pour certains.

Ils ne l’ont pas forcément théorisé (quoique, ne les sous-estimez pas…), promu à Marciac ou ailleurs, ou fait étudier par des chercheurs réputés. Mais ils pratiquent le développement durable, et peuvent être des exemples inspirants pour le reste des acteurs de la société.

A condition toutefois que le système de gouvernance de notre société, piloté par les décideurs, ces élites intellectuelles que j’ai citées tout à l’heure, leur laisse visibilité et parole.

Que pouvez-vous faire ? Que pouvons-nous faire ? Ici et maintenant, à Marciac en cette fin juillet 2016 ?

Décidons d’organiser la rencontre, entre vous-mêmes, intellectuels, penseurs et leaders d’opinion, et les agriculteurs qui font le changement, chez eux, dans leurs champs.

Questionnez-les, écoutons-les, donnons-leur la parole. Vous aurez alors, vous, intellectuels de bonne foi, des exemples et de la matière pour comprendre les freins et les ressorts du changement et co-construire ensemble, avec les acteurs de ce changement, les mesures que la société devrait prendre pour faciliter le changement, et impulser et déployer à grande échelle des systèmes agronomiques qui produisent des résultats durables pour le bénéfice de tous.

Une première occasion de dialogue de ce type aura lieu le 16 septembre à Toulouse, où une conférence d’une journée sera co-organisée par l’INRA, l’ENSAT, Agro-Nutrition et l’APAD.
Aux mêmes dates, les agriculteurs de Sol et Eau en Ségala, l’APAD du Tarn, organiseront à Albi une restitution des résultats de leur travail avec l’Agence de l’Eau Adour-Garonne.

Mais rien ne valant le terrain, nous maintenons la proposition d’organiser avec la Mission Agrobiosciences des visites et débats dans nos fermes tout au long de l’année. Une sorte de formation continue dans une « Université aux Champs » pour partager expériences et références, et faire, ensemble, la chasse aux mythes les plus bloquants.
gerard.rass(à)apad.asso.fr – http://www.apad.asso.fr