Du glyphosate à l’élevage : questions scientifiques, traitements médiatiques et politiques

En cette matinée du mercredi 17 juillet 2019, les 25es Controverses européennes s’attaquaient aux sujets qui fâchent : le glyphosate, l’élevage et leurs traitements médiatiques et politiques. Point de départ, le constat d’une hystérisation des débats et d’une radicalisation des positions, aussi bien sur la toile que dans le monde réel, autour de ces enjeux. L’idée ? Non pas de trancher sur la nocivité supposée du glyphosate ou encore sur le poids de l’élevage dans nos émissions de gaz à effet de serre, mais plutôt de rester à la surface médiatique et de tenter de déceler ce que ces crispations disent de nos sociétés. Étaient présent.es pour en débattre et exposer leurs points de vue : Sylvestre Huet, journaliste indépendant et auteur du blog {Sciences²} sur Le Monde ; Antoine Messéan, Association française d’agronomie ; Eddy Fougier, politologue et consultant indépendant, spécialiste des mouvements protestataires et Pascale Hébel, directrice du pôle consommation et entreprises du Crédoc. Nul ne s’étonnera de la richesse de cette table ronde, marquée par des aller-retours entre les crises et points de discorde d’hier (OGM, vache folle, DDT…) et ceux d’aujourd’hui. Puis les échanges, non moins stimulants, avec les membres de public. Cerise sur le gâteau, l’intervention, sans détours, de l’ancien ministre de l’Agriculture, Stéphane Le Foll.

Une table ronde à visionner en intégralité, ici :

Mission Agrobiosciences-INRAE : Antoine Messéan, vous avez beaucoup travaillé sur la question des OGM… Y-a-t-il des similitudes entre les discussions sur les OGM, datant de la fin des années 1990, et des dossiers comme le glyphosate et l’élevage ?

Expertise et radicalisation

Antoine Messéan : Il y a beaucoup de similitudes. Jusque dans les années quatre-vingt dix, la science produisait des connaissances et un certain nombre de certitudes qui se traduisaient, sous la férule des experts, dans les décisions publiques.  Et puis, la vache folle et les OGM ont remis en cause ce schéma de construction de l’expertise publique, avec l’immersion d’autres acteurs de la société, et provoqué ce que j’appelle « le choc de l’expertise ».
C’est encore le cas aujourd’hui, mais ce qui me frappe, c’est : d’une part la radicalisation accrue des positions, à la fois de ceux qui contestent l’expertise publique et, en retour, de certains scientifiques et experts ; et d’autre part, une violence qui s’exprime très vite dans les échanges, notamment sur les réseaux sociaux. Mais cela ne peut pas être une réponse, c’est une impasse.
Le débat sur les OGM s’est envenimé mais il est monté progressivement. Concernant le glyphosate qui, à part les spécialistes, n’intéressait personne il y a encore quatre ans, c’est arrivé de manière plus rapide et plus violente. Alors, forcément, il y a eu impréparation du politique, mais également des scientifiques qui n’ont pas anticipé.

Sylvestre Huet, vous êtes journaliste, vous avez également travaillé sur les OGM. Voyez-vous, vous aussi, des similitudes dans ces polémiques, ces controverses ?

Sylvestre Huet : Il y en a un enjeu central, pour notre société, quant à la manière dont nous allons utiliser ou pas des technologies de plus en plus puissantes mises à notre disposition par la science et les ingénieurs afin d’affronter les défis du XXIe siècle.
Stéphane le Foll est au fond de cette salle… En septembre 2012, au terme d’une folle journée provoquée par le titre en Une du Nouvel Obs’ « Oui, les OGM sont des poisons ! », il annonce au JT que la manière dont sont évalués les risques des plantes transgéniques va changer. Autrement dit, désolé pour le terme, il se soumet à une pression médiatique qui l’oblige à faire quelque chose de mauvais pour la démocratie et pour la qualité du débat public. Qu’aurait dû-t-il dire ?
« Un article est paru dans une revue scientifique, une équipe de chercheurs affirme qu’elle a découvert que l’ingestion de maïs génétiquement modifié pour tolérer un herbicide, le glyphosate, tue les rats utilisés lors de l’expérience. Mais, comme nous ne sommes pas si différents des rats, cela pourrait aussi tuer les vaches et les hommes. Cela peut être considéré comme une information extrêmement alarmante. Moi, Stéphane Le Foll, je ne sais pas si cette affirmation, c’est du lard ou du cochon, mais heureusement, nous disposons avec l’Anses, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, et avec le Haut Conseil des Biotechnologies d’une expertise publique dirigée par des personnes que nous avons nommées et que nous considérons compétentes, sincères, sans conflit d’intérêt avec des puissances économique et financière. Ces agences sont capables de fournir aux gouvernants et aux citoyens des conseils sur ce genre de sujet. Eh bien, nous leur avons donné les moyens financiers pour réunir des groupes d’experts qui nous diront ce qu’il faut penser de cet article. Je pourrai alors vous dire les décisions politiques que le Gouvernement doit prendre sur le sujet. » Il n’a pas dit ça. Quand on connaît la suite de l’histoire, on sait qu’il n’aurait pas dû se soumettre à cette pression. Je le dis gentiment. Ça aurait pu être n’importe qui, cela n’aurait rien changé !

Des décisions peuvent être prises dans le temps de l’émotion mais n’oublions pas aussi le traitement médiatique : concernant l’étude sur les OGM de Gilles-Éric Séralini, la presse n’est-elle pas allée trop vite en besogne ?

Sylvestre Huet : C’est pire que cela. Pour que nos démocraties fonctionnent, on a besoin d’une presse qui aide les citoyens à s’informer correctement pour participer à la conversation citoyenne sur des sujets de ce type, et pas seulement lors des campagnes électorales. Reprenez la totalité de ce qui s’est dit et écrit dans la presse ce jour-là, c’est une catastrophe. A quelques exceptions près, l’ensemble des journaux ont accepté de participer à l’opération de désinformation organisée par le Criigen (Comité de recherche et d’information indépendantes sur le génie génétique fondé par G-E Séralini), pour une raison simple : cette Une du Nouvel Observateur, dont on sait maintenant que c’était une affirmation fausse, représente la meilleure vente de l’année de l’hebdomadaire. La direction considère donc toujours qu’elle a eu raison de faire ça.
Lorsque le commerce, la vente, l’audience, l’audimat pour la radio et la télévision deviennent un critère prioritaire par rapport à la mission sociale de la presse et la qualité d’information du public, notamment sur des sujets qui nécessitent de prendre des décisions politiques, on est en train de saper l’un des piliers de la démocratie. Il y a eu, là, une synergie redoutable entre une presse aux abois et un émetteur de message, un groupe social, un acteur, Gilles-Éric Séralini, qui voulait convaincre la société de quelque chose. Et qu’est-ce que les Français en ont retiré ? On a une écrasante victoire du faux sur le vrai.

Quand les distributeurs jouent sur les peurs

Pascale Hébel, ces vingt dernières années, y-a-t-il eu une évolution dans la perception que nos concitoyens ont de ces questions-là ?

Pascale Hébel : La vache folle a été très, très fortement perçue par les consommateurs. Forcément, c’était la première crise. Avant ça, l’agriculture et l’alimentation n’étaient pas un sujet, la presse ne parlait que de cuisine et de gastronomie. Aujourd’hui, l’alimentation est devenue un marronnier à traiter comme un fait divers. Donc, en effet, la crise de l’ESB a été le révélateur.
En revanche, je peux vous assurer que dans les représentations sociologiques des consommateurs, les OGM n’apparaissent jamais. Personne n’y pense spontanément. Cet épisode Séralini n’a donc pas eu un écho fort dans la société civile. En revanche, ce qui a changé, c’est le cumul des crises. Avant 1995, 55 % des Français pensaient qu’il y avait des risques à manger ; aujourd’hui, ils sont 78%. C’est le cumul de ces inquiétudes qui fait que, aujourd’hui, les représentations changent beaucoup plus vite. Mais, ce n’est pas tant les médias qui influencent, que les acteurs économiques.
Regardez, la libéralisation de la publicité télévisuelle et au cinéma pour la distribution, notamment, à partir de 2003 et surtout 2007. C’est à partir de là que les grands distributeurs prennent la parole dans les publicités télévisées et que, pour gagner des parts de marché, ils vont agir sur ces peurs. C’est eux qui créent le « sans-OGM », « sans-Aspartame » et tout ce qui sort aujourd’hui. Ainsi, la peur des pesticides explose de dix points entre 2007 et 2010, puis elle est remplacée par une autre peur, etc. Du coup, les représentations sociales et mentales s’accélèrent ; les peurs, la façon de vivre son alimentation, bougent beaucoup et, surtout, tout cela est très fragmenté. Il y a quinze-vingt ans, nous avions tous la même façon de vivre notre alimentation. C’était le goût, le plaisir, le partage. Aujourd’hui, la segmentation est phénoménale, on ne vit plus tous la même chose. Le monde politique et médiatique appartient à une petite sphère de gens très diplômés, un petit monde qui œuvre sur Twitter, qui va faire l’opinion et, qui finalement est le plus angoissé.
Concernant les inquiétudes, notons que si les personnes qui ont habituellement peur des accidents de la route, du nucléaire, de la pollution, sont les plus fragiles, en revanche, c’est l’inverse pour l’alimentation : ce sont les plus éduquées, les plus effrayées. Simplement parce qu’elles ont le sentiment que ces risques alimentaires sont maîtrisables, contrairement aux accidents. Pour résumer, suite à la crise de l’ESB, les plus diplômés se sont emparés de cette peur montante et pensent que, finalement, ils ont les moyens d’agir dessus pour leur santé.
Il y a donc des évolutions fondamentales, structurelles, quant aux valeurs. Ce sujet de l’alimentation et santé n’existait pas, il y a vingt ans. Autre enjeu, l’environnement. Ce sont les mêmes catégories socioprofessionnelles qui veulent agir pour leur santé et pour la planète. Tout se cristallise donc dans cette sphère. Ceux qui ont peur sont donc les journalistes, plutôt des femmes, qui vont traiter ce sujet répondant à leurs angoisses. Idem pour les politiques. C’est cette catégorie de la population qui a le plus peur et qui va s’en faire l’écho.

Qu’est-ce qui fait qu’aujourd’hui une partie de la population croit des bobards et les retransmette allègrement ?

Pascale Hébel : Ce qu’il se passe, c’est que cela va beaucoup plus vite ; les décisions doivent donc être prises beaucoup plus rapidement. Les médias doivent écrire beaucoup plus vite afin qu’on vérifie les informations. Mais il a été montré que tout dépend de la formation de chacun, les scientifiques ayant davantage besoin de preuves et de raisonnements rationnels. Sauf que dans la sphère des gens très diplômés, il n’y a pas que des scientifiques.

Ne pas confondre crise et controverse

Eddy Fougier, comment réagit le monde politique ? A-t-il peur comme les journalistes ?

Eddy Fougier : D’abord, il ne faut pas confondre crise et controverse. Comme son nom l’indique, la crise de la vache folle est une crise, c’est-à-dire un choc brutal à un moment donné. Où l’on apprend que des personnes sont infectées, d’autres vont mourir. Après la crise, se développe souvent un déni, comme pour les gilets jaunes, puis des excuses, une empathie et une indemnisation (douze milliards pour les gilets jaunes). Même si l’événement est extrêmement violent, comme ça l’a été pour l’ESB, cela finit par passer, il y a une forme de résilience.
Une controverse est bien plus compliquée à gérer. Le glyphosate, les pesticides, la viande… Pour moi, nous sommes là dans une sorte de guerre de tranchées longue et difficile à résoudre. Vous imaginez bien que Monsanto ne va pas s’excuser pour le glyphosate. L’entreprise n’est même pas dans le déni, elle est dans une autre logique. Et puis, les controverses durent des années, chacun restant campé sur ses positions extrêmement figées, notamment dans le contexte des réseaux sociaux, des médias. Ici, pas de résilience, les inquiétudes sur les pesticides ou d’autres sujets sensibles restent pérennes. Paradoxalement, on peut dire que les OGM sont un peu l’enfant de la crise de la vache folle. Rappelez-vous. En mars 1996, le gouvernement britannique explique que l’ESB peut se transmettre à l’homme. Quelques mois après, Greenpeace arraisonne un paquebot transportant du soja transgénique. Le début de la controverse commence lorsque Libération publie en Une : « Alerte au soja fou ! » Le public fait le lien entre les OGM et la vache folle. On voyait bien qu’on voulait embarquer les OGM dans cette crise et, effectivement, ils l’ont été. Autant les risques liés à l’alimentation semblent maîtrisables, autant les OGM angoissent les consommateurs, du fait des risques non maîtrisables et invisibles. Voilà pour un premier aspect.
Deuxième aspect, aujourd’hui, du point de vue agricole, on n’est plus du tout sur les mêmes enjeux. Pendant des années, le contestataire du modèle agricole, c’était le faucheur volontaire. C’est une vielle histoire. Aujourd’hui, regardez sur Twitter, l’obsession d’une partie des agriculteurs, c’est Générations Futures, c’est L214. Or, vous enlevez les OGM à l’agriculture française, certains agriculteurs vont considérer que c’est une perte de compétitivité, mais pas un mur porteur. Vous enlevez les pesticides, vous enlevez la viande, il n’y a plus d’agriculture. Donc ce n’est pas tout-à-fait de la même nature du point de vue agricole.

On a passé un cap en termes d’enjeux ?

Eddy Fougier : Voilà. Des mouvements protestataires comme Générations Futures ont réussi à changer la perception des pesticides par le grand public et par les acteurs de l’espace public. Dans les années 90, le débat sur les pesticides existait déjà. On se souvient de produits dénoncés à l’époque par des mouvements altermondialistes, notamment. Mais, de leur point de vue, les cibles de ces pesticides étaient les utilisateurs – les agriculteurs et les abeilles. Générations Futures a plutôt réussi à modifier cette perception : aujourd’hui la victime des pesticides, c’est aussi le consommateur. Alors bien-sûr, les études sur les résidus de pesticides dans les mèches de cheveux, les urines, etc., mode opératoire qui a été repris par Cash Investigation et les Pisseurs volontaires, c’est extrêmement spectaculaire d’un point de vue médiatique. Et cela crée un contexte anxiogène pour le consommateur pour lequel quelque chose d’invisible va conduire au cancer.
J’en viens enfin à votre question sur les politiques. En 2007, Ségolène Royal reprend à son compte cette critique des pesticides et réclame une réduction de leur usage. Pour moi, la grande validation de cette critique, par les politiques, c’est lorsqu’au Grenelle de l’environnement, en 2008, le Président de la République Nicolas Sarkozy explique qu’il faut réduire de 50 % l’usage des phytos. Implicitement, parce que c’est dangereux. Je ne dis pas que les politiques se soumettent, disons qu’ils sont dans une logique d’air du temps…
Autre point, Nicolas Sarkozy qui a vécu deux chocs dans sa vie politique – la défaite de Lionel Jospin en 2002 et le référendum de 2005- est donc parti du principe de tolérance zéro vis-à-vis de l’évolution de l’opinion publique et qu’il ne fallait pas passer à côté de ce basculement datant de 2007, au risque d’une instrumentalisation par des adversaires politiques.
Enfin, dans cet échange assez houleux entre Emmanuel Macron et cet agriculteur des JA (Jeunes Agriculteurs) lors du Salon de l’Agriculture en 2018, le Président dit en quelque sorte : « Je n’ai pas envie de me prendre dans la figure l’amiante ou le sang contaminé. » Si on n’est pas sûr, on applique donc le principe de précaution pour ne pas être le prochain Laurent Fabius ou d’autres, et ce fardeau à porter à vie. D’ailleurs, beaucoup de maires ne veulent pas se représenter sachant qu’ils peuvent désormais être pénalement sanctionnés si ce type de problème surgit. D’un point de vue politique et d’un point de vue personnel, on ouvre les parapluies pour tenter de passer entre les gouttes, éviter d’avoir à subir une crise et d’en être jugé responsable. Cela se traduit par l’expression NIMTOO (Not In My Term Of Office) : pas durant mon mandat.

Entre gens de bonne compagnie

Antoine Messéan, qu’est-ce que cela inspire au scientifique que vous êtes ? Quel regard portez-vous sur le bazar que nous avons mis sur la table ?

Antoine Messéan : La question des OGM a été assez facile à régler, puisqu’ils n’étaient pas encore cultivés au moment de la crise. Ils ont été cultivés une seule année sur notre territoire, en 2007. Pour les pesticides, c’est beaucoup plus compliqué, ils sont largement présents dans notre agriculture. Le Grenelle de l’environnement a envoyé un signal politique très fort, avec l’annonce du plan Ecophyto et d’un objectif de réduction de 50 % des pesticides, si possible.
Mais le signal politique ne suffit pas et je voudrais revenir sur ce qu’on appelle le régime sociotechnique c’est-à-dire les politiques publiques, la réglementation, la recherche, le développement agricole, les filières industrielles. Ce régime s’est construit progressivement et organisé, dans une grande cohérence, autour du modèle d’agriculture qui a prévalu après-guerre. Dans ce cadre, les acteurs de l’industrie, les scientifiques et les politiques constituaient une sorte de club qui a bien fonctionné pendant 50 ans. En gros, on décidait entre gens de bonne compagnie. Sur les OGM, ce club avait mis en place un système d’expertise à la française, chargé d’évaluer les risques, avant que l’Europe ne nous l’impose. Nous étions très fiers en France de pouvoir mener des essais OGM ne posant aucun problème. Jusqu’à la crise de 1996 où on s’est pris la contestation en pleine figure. Mais comme ce régime a une grande cohérence (tout a été organisé autour d’un modèle avec des effets d’auto-renforcement de ses composantes), il est verrouillé et donc difficile d’en sortir sans jouer sur tous les leviers en même temps.
Revenons aux pesticides et au glyphosate. La demande de la fin immédiate du glyphosate (alors que personne ne s’en préoccupait auparavant) peut sembler être une décision simple mais c’est un choc pour le système sociotechnique. En effet, le glyphosate n’est pas un herbicide comme un autre, c’est une molécule pivot des systèmes de culture, ces derniers sont progressivement devenus dépendants du glyphosate. Alors qu’il s’agissait initialement (années 70) de détruire des plantes difficiles, comme le chiendent (et ce fut alors une bénédiction pour les agriculteurs…), il y a eu ensuite un codéveloppement des systèmes de culture et du glyphosate. Ce dernier a notamment permis la mise en place du travail simplifié et du non-travail du sol, apportant des bénéfices par exemple dans la lutte contre l’érosion. Il est intéressant de remarquer qu’au nom de l’agroécologie, la promotion de l’agriculture de conservation a d’une certaine façon renforcé la dépendance au glyphosate ! Le glyphosate est un bon exemple de verrouillage sociotechnique et en sortir implique de repenser les systèmes de culture. Mais voilà, il s’agit d’en sortir et tout de suite. Je suis assez optimiste à long terme, mais sachez que nous ne sommes pas encore prêts !

Le faux est plus vendeur que le vrai

Sylvestre Huet, y-a-t-il eu un problème de formation des journalistes ou ont-ils basculé dans le militantisme ?

Sylvestre Huet : Le mot controverse désigne quelque chose d’extrêmement précis. Un exemple éloigné de vos sujets : pendant trente ans, les astronomes se sont querellés sur la constante de Hubble, la vitesse à laquelle l’univers s’étend. Ils obtenaient deux résultats extrêmement différents et ne savaient pas lequel était le bon. Le journaliste doit-il choisir son camp ? Non, il explique au public que la science n’a pas de réponse à la question qu’elle pose pourtant correctement.
Il est donc très important de ne pas mélanger une controverse scientifique et un désaccord dans l’espace public, où l’on peut s’opposer non pas sur la vérité mais par exemple sur les valeurs. La confusion parfois sciemment organisée entre ces deux types de désaccords est très préjudiciable à la capacité d’une société à utiliser la science, ses résultats ou ses non-résultats, pour prendre des décisions (d’usages, de non usages, du type d’usage) sur les technologies issues de ces sciences. Et, évidemment, quand naît une controverse, donc un savoir sans consensus entre scientifiques, il faut que la conversation citoyenne sache clairement sur quelle base la décision politique va être prise.
Alors, concernant votre question de savoir si les journalistes font bien leur boulot, s’ils sont ignorants… Dans l’émission Cash Investigation sur les pesticides, il est répété plusieurs fois : « une enquête dit que 97 % des légumes ont des résidus de pesticides ». Peu après, on demande à Elise Lucet : « ça veut dire quoi les 3 % qui restent ? » Elle répond : « C’est le bio, c’est qu’il n’y a pas de pesticide ». C’est assez fou ! Cela veut dire qu’elle et son équipe n’ont pas lu l’article scientifique qui donnait ces résultats, ni même l’abstract ou le communiqué de presse dans lequel était expliqué que ces 97 % correspondent aux échantillons testés et pour lesquels on était en-dessous de la limite réglementaire. Et qu’une grosse partie de ces 97 % affiche zéro détection – cela veut dire zéro molécule détectable – et que les 3 % restant sont justement ceux dépassant les limites légales, pas du tout les bio !
D’un autre côté, c’est assez logique. Massivement, les journalistes français ne connaissent pas grand-chose à la production agricole, ni à la production en général d’ailleurs, les journaux perdent de l’argent, les quotidiens sont de moins en moins nombreux. Résultat, il y a de moins en moins en moins de journalistes : 37 700 cartes de presse, en 2009 en France, moins de 35 1000 aujourd’hui. Comment voulez-vous être mieux informé quand vous avez moins de professionnels de l’information qui travaillent ?
Alors que fait-on pour que les entreprises de presse existent et qu’elles aient les moyens de payer des gens bien formés, compétents, et qui auront le temps de travailler et la possibilité de dire à une direction : « bien sûr le faux va vendre plus que le vrai, mais on ne va pas le faire ». Non, le faux vend plus que le vrai et on le fait.

Concernant les chiffres auxquels on fait dire ce que l’on veut, comment les consommateurs reçoivent ce type de message, Pascale Hébel ? Les consommateurs sont-ils encore capables d’entendre qu’il y a une controverse et que le consensus scientifique n’est pas établi ?

Pascal Hébel : On a tendance à surestimer l’impact de ce qui est dit dans les médias et même des fake news. Ce n’est pas si binaire que cela. Quand on analyse ce qu’il se passe sur les réseaux sociaux, on se rend compte que sur quinze pics médiatiques (bio, végan, pesticides…) véhiculés par les sites officiels des grands médias, le grand public n’en suit que trois. Simplement, comme tout passe beaucoup plus vite, une nouvelle information en chasse une autre. Donc, on n’absorbe pas tout. Chaque secteur pense que sa crise est majeure alors que, finalement, elle passe et personne n’en a entendu parler.
Nous avons étudié au Crédoc, dans une étude réalisée pour le ministère de l’Agriculture, l’impact de ce qui est véhiculé par les médias sur le véganisme et le végétarisme. Cela n’a aucune influence sur les ventes. Les grands pics du débat ont plutôt eu une influence sur les achats quotidiens de viande. En revanche, sur le bio c’est l’inverse. Là ce ne sont pas tant les pics, que le bruit de fond qui joue. Quand il monte, les ventes augmentent. Cela veut dire que si on ne parlait plus du bio, les ventes diminueraient. Finalement, ce ne sont pas des pics d’info, mais la quantité d’informations globale, le trend, qui va créer des changements de représentations. Sur les pesticides, le bio, les représentations ont beaucoup évolué et, évidemment, cela a un impact sur les pratiques. C’est ça qui est important : derrière ces images, y-a-t-il une influence sur les comportements ?

Les changements de pratiques ont un fondement

On l’a dit, malgré le pic d’information que généra la Une de l’Obs, les OGM ne sont pas un sujet pour les consommateurs français… même si ça fait vendre d’apposer une mention sans OGM sur les produits. Il faut donc faire attention à cette image des fake news qui prend de l’ampleur : les changements de pratiques sont beaucoup plus structurels, ils sont liés à des changements plus profonds qu’une simple fausse information. Les raisons de la baisse structurelle très forte de la consommation de viande, qui date du début des années 1980, avant la crise de l’ESB donc, sont avant tout liées aux messages nutritionnels du début des années 80 qui indiquaient qu’il fallait manger moins gras. Cela s’accentue depuis 5-6 ans avec de nouveaux leviers que sont l’écologie, le bien-être animal, le lien entre cancers et consommation de charcuterie et viande rouge Ce qui fait changer les pratiques, ce sont donc des choses qui ont un fondement, ce ne sont pas des rumeurs. Le sans gluten, par exemple, ne prend pas parce qu’on ne peut pas d’un coup opter pour la suppression de la majorité de notre bol alimentaire. Il faut donc rester optimiste sur la nature humaine, et le corps social qui est plus éduqué qu’avant.
Ce qui est important pour l’avenir, c’est de faire de la prospective, de trouver vers quoi aller, quelle vision… Et évidemment, la vision est portée par des changements profonds.

Eddy Fougier, concernant les vegans, comment un mouvement si petit en nombre peut-il avoir une telle surface médiatique ? C’est la violence des actions ? Qu’est-ce qu’il se joue ?

Eddy Fougier : C’est compliqué à analyser. Le nombre de végans au sens strict est estimé entre 0,2 et 0,6 % de la population (3% pour les végétariens) et beaucoup sont en transition ou en conversion. Pourquoi un tel écho médiatique ? Je pense que ce type de mouvement, de contestation, a une part de voix – comme on dit en marketing – quand il fait écho à un certain nombre de préoccupations.
Un exemple pour revenir sur cette notion de bruit de fond qui amène les consommateurs à se poser des questions. La première fois que l’on a vraiment parlé de L214, c’est en 2015. Des vidéos avaient déjà été diffusées sur l’abattoir d’Alès. Des images choc qui amènent les pouvoirs publics, le maire local et l’opinion publique à réagir. Je dirais qu’une accumulation va se produire parce que, quelques semaines après, le CIRC (Centre International de Recherche sur le Cancer), rattaché à l’OMS, va expliquer que la viande rouge est potentiellement cancérigène et que la viande transformée, et ultra-transformée, l’est encore plus. Enfin, quelques temps après France 3 diffuse en prime time un film basé sur le livre de Franz-Olivier Giesbert[1]. On assiste à une accumulation d’informations émanant de médias, d’organisations internationales, d’ONG allant dans le même sens et qui amènent, sans doute, le consommateur à se dire : tiens, il se passe quelque chose. On est là fin 2015, et l’émission sur les pesticides à laquelle Sylvestre a fait référence, c’est février 2016. C’est à ce moment-là que s’opère un basculement. Il est d’ailleurs intéressant que la presse parle pour la première fois d’agribashing suite à la diffusion du film de Franz-Olivier Giesbert.
Je reste persuadé qu’il ne suffit pas qu’une association, végan ou autre, dise quelque chose pour que cela marche. Il faut que, au sein de l’opinion publique, il y ait un terreau qui soit prêt à recevoir cette information. Par exemple, cela fait des années que José Bové et d’autres associations martèlent sur les nanotechnologies. Les acteurs économiques regardent cela comme le lait sur le feu, mais les gens ne s’en inquiètent pas alors qu’on est dans l’anxiogène par excellence (invisibles et non maîtrisables). Ce n’est pas mûr.
Alors pourquoi les végans, ça a pris ? Sur la forme, les réseaux sociaux et les vidéos ont sans doute joué un rôle, ont lancé une sorte d’alerte. Mais à cela s’ajoute un certain nombre de préoccupations de fond qui permet une validation, non pas nécessairement par les politiques ou par les organisations internationales. Quand vous entendez en 2006 la FAO qui annonce que l’élevage est un facteur d’émission de gaz à effet de serre qui agit sur le changement climatique, puis le Circ que la viande est sans doute cancérigène, vous vous dites : c’est quand même sérieux ! Cela ne fait pas simplement écho aux propos d’une ONG ou à trois végans qui balancent du faux sang sur une boucherie, mais à un certain nombre de tendances de fond des consommateurs par rapport à la consommation de viande, rouge particulièrement. Les préoccupations naissent de la combinaison du sentiment que la production industrielle de viande est un facteur potentiellement nuisible pour le climat, pour l’environnement, pour le bien-être animal, pour la santé humaine. Ensuite, il y a sans doute du côté de L214 et d’autres une instrumentalisation de ce sentiment de plus en plus majoritaire chez les Français par rapport à la sensibilité et au bien-être des animaux. Avec cette confusion très visible : d’un côté, une très large majorité de l’opinion publique est dans une logique d’amélioration des conditions de vie et d’abattage des animaux, alors que L214, qui n’est pas le plus extrémiste, est plutôt dans une logique d’abolitionnisme. Enfin, ce mouvement est validé par des acteurs économiques : Volkswagen va sortir un modèle végan. C’est ridicule, mais c’est ainsi.

La science n’est pas prête !

Antoine Messéan, j’ai l’impression que l’agriculture est finalement devenue un champ de bataille idéologique qui n’a pas forcément à voir avec l’agriculture… Alors, comment sortir de ce bazar ?

Antoine Messéan : Dans les sociétés démocratiques, il y a une dissolution des repères de la certitude, la tentation du relativisme, et la transformation des vérités qui migrent aussi dans le champ politique. Et les scientifiques se sont un peu laissés embarqués. Je pense que, pour s’en sortir, un des premiers points, c’est le retour au réel pour définir déjà les questions et voir s’il y a controverse scientifique. Le problème, c’est qu’on nous demande des réponses, sans que nous ayons formulé les questions ! Par exemple, quand on nous demande si une plante OGM est différente de la plante originelle et que nous répondons non, on nous rétorque : « c’est n’importe quoi ! Regardez, l’importation de soja OGM favorise la déforestation ». Peut-être, mais ce n’est pas la question qui nous avait été posée, que les politiques nous ont posée, que la Commission Européenne nous pose !
Alors c’est vrai que les ministres successifs nous ont demandé de renforcer et élargir l’expertise et, lors de l’évaluation d’une innovation, d’un pesticide ou autre, de couvrir aussi les aspects sociaux, économiques, environnementaux, aujourd’hui et dans vingt ans, ici et là-bas. En gros, c’est l’agenda. Eh bien, même si elle y travaille, la science n’est pas prête ! Je pense aussi que nous n’y travaillons pas assez, car il n’est effectivement pas simple de travailler sur les méthodologies d’évaluation multicritères, multiéchelles et multiacteurs des effets systémiques ! Retirer le glyphosate ? Qui est capable de vous dire ce que cela va induire dans cinq ans dans le système de culture ? Comment va se répartir la valeur ajoutée dans l’échelle de valeur, surtout pour une molécule qui n’est pas associée à une culture particulière, mais pour l’ensemble de l’agriculture ? C’est un énorme défi pour la recherche mais il faut le relever.

Pascale Hébel, que peut-on faire pour en sortir ?

Pascale Hébel : Je pense qu’il faut proposer une vision d’avenir et pour cela il faut entrer dans les enjeux qui préoccupent les citoyens. Ce qui change fondamentalement dans les nouvelles générations, ce sont ces changements de valeur, ce dans deux directions : la préoccupation de l’écologie et celle de la santé. Les futurs habitants de la planète, qui veulent préserver la terre et leur capital santé, développent une autre vision du monde que la nôtre. Et l’agriculture doit répondre à ces deux enjeux, ce qui n’était pas vraiment le cas pour la santé… Je suis ingénieure agro, on m’a appris dans les années 80, qu’il fallait augmenter les rendements agricoles. Et l’écart entre ce que veulent les agriculteurs et ce que veulent les citoyens, ce n’est pas l’économique, mais le rôle de l’agriculture dans l’écologie. C’est cette place-là qu’il faut prendre, parce que c’est la seule vision d’avenir, c’est le seul intérêt général qui fera corps, les valeurs communes qui permettront d’avancer. Si on va dans ce sens, que l’on met ces valeurs de santé et d’écologie au cœur de l’innovation, on ira forcément dans une vision pour tous.

Posons-nous les bonnes questions !

Sylvestre Huet et Eddy Fougier, comment fait-on pour en sortir ?

Sylvestre Huet : D’abord nous devons nous poser les questions qu’on refuse de se poser alors que la science, elle, les a posées. Je prends l’exemple du glyphosate et des herbicides. Une semaine avant l’affaire Séralini, en 2012, je publie dans Libération un reportage de deux pages sur le travail d’’une équipe de l’Inra sur le site d’Époisses, près de Dijon, pour étudier comment on pourrait (presque) se passer complètement des herbicides pour les grandes cultures. A cette époque, cela fait presque 15 ans qu’ils le font ! Cela veut dire, qu’il y a plus de vingt ans, l’Inra avait engagé un effort, à grande échelle, pour proposer des solutions pour sortir des herbicides, pas seulement du glyphosate. Donc la question a été correctement posée.
Le résultat majeur, c’est que le verrou à faire sauter pour s’engager dans une telle voie sans herbicide est essentiellement socioéconomique, car il faut garantir des revenus aux agriculteurs. Dans ce système sans pesticides, ils doivent parfois arrêter leurs rotations et produire de la luzerne. Ce qui veut dire qu’il faut un débouché local à cette luzerne, sans qu’ils puissent anticiper à l’avance combien ils vont en produire dans les années à venir. Ce qui implique que, au niveau politique, on doit se poser des questions, par exemple sur la spécialisation des territoires à l’échelle de la France. Ce qui implique de remettre de l’élevage dans les zones de grandes cultures céréalières. Or si on laisse le marché faire, on n’arrive pas à cela. Cela suppose une intervention étatique contredisant le mécanisme du marché, à la fois au niveau de la France, de l’Union européenne et des relations économiques import-export de l’Union européenne avec le reste du monde.
Et, là, oui, on peut en sortir, à condition donc de poser le problème à ce niveau-là et d’être capable de mettre en cause des dogmes implicites à la base des politiques conduites depuis des années.

Eddy Fougier : On peut en sortir déjà en militant en faveur d’une pluralité des systèmes agricoles pour une raison assez simple : je me méfie des notions de demande et d’attente sociétales. Ce qui est ressorti des débats de ce matin, c’est le circuit court, et des débats de cet après-midi, c’est le bio… Quand on regarde la société française actuelle, le terme qui ressort est celui de fragmentation. Jérôme Fourquet a écrit un livre sur l’archipélisation de la société française[2] et, effectivement, les trois types d’enseignes commerciales qui progressent le plus sont : Biocoop – circuit-court en partie et bio -, Grand Frais – poids lourd du circuit-court- et enfin Action, un discounter néerlandais. En 2012, il n’y avait aucun magasin Action en France, aujourd’hui il y en a cinq cents, autant que des Leclerc, plus que des Décathlon. Il existe aussi Noz, une autre enseigne de déstockage. Il n’y a ni Action, ni Noz dans Paris intra-muros, mais quarante Biocoop ou Bio c’ bon.
Une enquête récente montre que 58% des ménages français sont à dix euros près pour faire leurs courses ; 14 % sont à un euro près. La variable prix reste malgré tout essentielle.
Donc, les circuits courts, tout le monde est d’accord ; le bio, idem. Mais n’oublions pas qu’une grande partie de la société (cf. gilets jaunes) a le sentiment de payer un coût social pour cette transition écologique. Idem pour les agriculteurs. Les adhérents de la FNSEA ne sont pas contre l’idée de transition. Ils se disent d’accord pour arrêter le glyphosate, à condition d’avoir un substitut, pour pouvoir continuer de produire.

Intervention de Stéphane Le Foll : Monsieur Huet, vous ne pouvez pas dire que j’ai été complètement sous la pression de cet article. Vous avez oublié de rappeler que j’ai dit, très vite, qu’il fallait évaluer cette étude avant de la considérer valide. Donc, sous une pression médiatique extrêmement forte, je n’ai pas lâché. On est alors dans un moment politique où se développe une contestation très forte du modèle de développement des cinquante dernières années. Et le débat aujourd’hui sur le glyphosate, les OGM est sous-jacent à la contestation d’un modèle et à la contestation d’une entreprise comme Monsanto. C’est culturel et politique.
Tous ces débats sont culturels et plusieurs facteurs sont très importants à prendre en compte. La cupidité des gens. Si vous leur dites : on va vous permettre de gagner plus d’argent, en général ils suivent. Puis la peur qui est un moteur essentiel des dynamiques collectives, un moteur essentiel de la capacité qu’on a à changer les choses. Mais à l’agiter à tout va, elle prend le pas sur le reste. Enfin, il est fondamental de considérer la place des individus.
Qu’est-ce que c’est que l’archipel ? C’est l’idée qu’il y a de petits groupes certes, mais au sein d’une société traversée par un phénomène fondamental d’individualisation. C’est très intéressant Madame Hébel que vous ayez dit que l’écologie et la santé sont la clé. Mais, attention à ce que la santé ne soit pas considérée comme un problème individuel, au risque de ne pas prendre en compte l’intérêt général. Chaque individu pourrait chercher à se protéger en oubliant ceux qui, justement, ne pourront pas le faire. Donc si vous prenez la santé, avec l’alimentation, comme un élément structurant d’un avenir à changer, faites très attention à ne pas individualiser la réponse. Car, à ce moment-là, on est fichu. C’est d’ailleurs ce qu’il se passe aujourd’hui. Et notre difficulté est là.
Pour terminer, il y a un enjeu colossal à remettre en perspective, et qui a été évoqué avec l’exemple de la luzerne et des possibilités de changer. Nous avons un gros besoin d’investissements. Quand on est en faible croissance, avec des taux d’intérêts bas, comment fait-on ? Keynes disait : vous investissez dans les infrastructures, vous faites des ponts, une autoroute. Ça, c’est terminé ! Donc il faut investir dans la dynamique économique, écologique et sociale. Un exemple pour être bien clair.
Investir dix, quinze, vingt, trente milliards d’euros aujourd’hui dans l’isolation des bâtiments, cela permet de baisser les émissions de gaz à effet de serre, de donner du pouvoir d’achat au travers de la baisse des charges et, en même temps, de créer de l’emploi parce que c’est du bâtiment.
Si je prends l’agriculture et l’agroécologie, tout le débat est aussi d’adhérer à la compétitivité de l’agriculture. On n’adhère pas à l’agroécologie simplement parce que c’est écologique, mais aussi parce que cela offre de meilleures marges brutes à l’Etat. Et les agriculteurs doivent s’y retrouver.
Pour revenir à la luzerne, c’est vrai, comme pour le chanvre, il faut trouver des débouchés à ces rotations. Mettre en place des stratégies et donc de l’investissement au service de la bioéconomie qui va utiliser la photosynthèse végétale pour développer la production biosourcée, comme le bois dans le bâtiment, le chanvre, le lin, pour faire des bottes ou à insérer dans les calandres des voitures. Donc l’enjeu, ce n’est plus Keynes, mais une politique néo-keynésienne d’investissement pour combiner l’économique, l’écologique et le social.

ECHANGES AVEC LE PUBLIC

Visionner les échanges avec le public, en intégralité :

Jean-Claude Bévillard, France Nature Environnement (FNE) : Le débat est radicalisé, on est dans un système binaire, la question des pesticides en est un exemple clair. On nous dit qu’il faut demain matin interdire les pesticides. Petite leçon d’histoire.
En 2006, notre association environnementale a émis l’idée qu’il fallait réduire les pesticides de 50 %. Nous savions que ce chiffre symbolique offrait une perspective. Grâce à des décisions politiques courageuses à l’époque, cela a été adopté dans le Grenelle, non sans difficultés. Je me rappelle que la FNSEA n’était pas tout à fait d’accord… Notre structure s’est engagée dans le plan Ecophyto, en se disant : « On a dix ans, on va travailler sur une transition, peut-être un peu difficile, mais enfin douce. » Au bout de sept, huit ans, on constate que non seulement ça n’a pas diminué, mais ça a augmenté. Résultat, dans nos mouvements associatifs, les gens nous ont dit : « Vous êtes des rigolos, vous nous avez bernés ! Vous n’avez rien fait ! »
Qui est-ce qui a mené la danse ? Ce ne sont pas des politiques, c’est le monde des agriculteurs, et plus encore le monde coopératif. On va peut-être arriver à l’interdiction des pesticides, mais ça va aboutir à quoi ? A un déclin de l’agriculture chez nous, et à une importation de produits. C’est ce qu’il se passe pour l’élevage. Donc il faut bien qu’on réfléchisse.
Autre point, Philippe Mauguin a retracé hier une évolution remarquable de l’Inra, rappelant que pendant des années l’Institut a travaillé dans le sens des cultures productivistes avant de changer d’optique au début du 21e siècle. Le problème, c’est que les scientifiques nous ont un peu regardés d’en haut. Quand on demandait la réduction de 50 % les pesticides, certains disaient : « Mais vous n’y pensez pas, vous êtes des petits rigolos ! » Ils n’avaient pas regardé les transformations engendrées par les pesticides, leur impact sur les abeilles. Il a fallu attendre que les apiculteurs descendent dans la rue pour que ce soit montré. Il y a donc aussi une responsabilité du monde scientifique. Donc il faut que chacun batte sa coulpe. Certes les journalistes ont une responsabilité. On a une refondation de notre vie politique, là, à engager.
On n’a pas toujours été d’accord avec Stéphane Le Foll. Mais son grand apport a été de proposer avec l’agroécologie, un projet politique à la fois social, économique et environnemental. Reste que dans son gouvernement, personne n’a vraiment suivi. Résultat : on est au stade aujourd’hui où tout se radicalise.

Du local au mondial

Brigitte Allain, ancienne député de la deuxième circonscription de la Dordogne : Je suis un peu étonnée. J’ai pu entendre, dans ce club des experts, plein de contre-vérités : sans la viande et les pesticides, il n’y a plus d’agriculture ! C’est incroyable quand même ! C’est quoi l’agronomie ? Sinon savoir produire autrement qu’avec l’agrochimie ? On a su produire autrement qu’avec l’agrochimie !
Il n’y aurait pas eu de contestation par rapport aux OGM ? Mais pourquoi on n’en a pas en France ? Parce qu’il y a eu de la contestation ! J’ai fait partie des faucheurs ! Si on le fait c’est parce qu’à un moment, on veut défendre un autre choix d’agriculture !
Enfin, quand j’entends « comment sortir du bazar ? » Mais le bazar, c’est le débat, celui qu’on a aujourd’hui ! Le débat a commencé avec Stéphane Le Foll, dans sa loi en 2014 sur laquelle on avait commencé à travailler en 2012, 2013.
On lie enfin à nouveau l’alimentation et l’agriculture ! L’alimentation et la santé ! L’alimentation et l’environnement, l’écologie ! Donc non ! On ne va pas arrêter le débat, parce qu’aujourd’hui on est en train de reprendre en main notre politique alimentaire. Et on va le faire sur le terrain ! Et ce n’est pas s’enfermer que de dire : ça commence au niveau local pour aller vers le mondial. Non, nous n’allons pas attendre de changer de politique au niveau mondial pour changer, parce que sinon on ne le fera jamais !

Merci Madame, je rappelle que l’objet de la table ronde n’était pas de repenser les modèles, mais plutôt de voir quels étaient les rouages des crises et des controverses médiatiques.

Bis repetita ?

Yohann Charbonnier, Ligue de Protection des Oiseaux : Je reviens sur les questions d’image. Vous nous rappelez à juste titre que les pesticides montrent une radicalisation des pour et des contre, que vous ramenez à des années assez récentes. A la fin des années 1980, on m’apprenait à l’école qu’un fameux pesticide s’accumulait dans la chaîne alimentaire et qu’on le retrouvait jusqu’aux ours polaires. Il s’appelait le DDT. Ce produit a aussi fait polémique dans les années 70.
Du coup, ne vivons-nous pas aujourd’hui avec les pesticides un retour de flamme ? Car il me semble que la démonstration a déjà été faite, au moins une fois sur les anciens pesticides, qu’ils avaient une vraie conséquence à la fois sur l’environnement et à la fois sur les hommes ? L’augmentation de cette radicalisation ne vient-elle donc pas d’un bis repetita, la société s’étant déjà fait avoir une fois ?

Mathieu Gervais, politiste et sociologue : Je suis un peu mal à l’aise avec certains propos que j’ai entendus… Retour au réel, (un livre de Gustave Thibon, de 1946), la science produit de la vérité, pourquoi les gens croient des bobards ? Je pense que ces questions ne sont pas très pertinentes pour comprendre les tensions d’aujourd’hui. Au contraire, à mon avis, il faut questionner ses propres manières de poser des questions pour comprendre les controverses, et pour comprendre comment se construit un savoir légitime, un savoir démocratique. Est-ce que vous pouvez revenir sur l’aspect parfois un peu scientiste de votre discours ? Merci !

René Léa, paysan dans le Finistère : Je suis assez vieux pour me rappeler que, il n’y a pas si longtemps, c’était la confiance qui régnait en France. On faisait vraiment confiance aux normes NF (Norme française), on faisait confiance à ce qu’on avait dans nos assiettes. Et ça a été remis en cause par des scandales, comme l’amiante et autres, qui ont marqué beaucoup les esprits. Et je trouve qu’on a beaucoup attaqué certains journalistes qui ont du mérite, comme ceux du Canard Enchaîné, de Cash Investigation, de Médiapart. Il faut les soutenir parce qu’ils aident beaucoup la démocratie. Il faut qu’on pense aussi à équilibrer la balance de notre discours, en y mettant les lobbies qui, tous les jours, vont voir nos députés qui votent les lois, pour leur proposer d’empoisonner finalement le consommateur.

Sur la question du bis repetita, l’exposition à des crises sur le DDT, il y a eu l’atrazine aussi. Il y a eu des débats, depuis très longtemps sur les pesticides, les produits phyto. Finalement, aujourd’hui, est-ce qu’on ne paye pas ces dossiers passés ?

Pascal Hébel : Oui, sans doute… Mais je rappelle que cette boîte noire qu’était l’agriculture et l’industrie agroalimentaire n’intéressait pas les gens, ne guidait pas les choix, n’était pas un élément du débat public. Et il y avait, en effet, une confiance absolue dans ce qui relevait de l’Etat, donc les normes. Ce qui est nouveau, c’est qu’aujourd’hui ces questions-là préoccupent le consommateur quand il va faire ses achats. Après tous les scandales, est venue l’inquiétude et une défiance énorme dans toute la société, sans doute liée à des changements profonds, sur fond de révolution numérique où tout va beaucoup plus vite. Aujourd’hui les transitions sont plus puissantes. L’écologie et le numérique inquiètent globalement et finalement cela va créer cette défiance que l’on vit dans tous les secteurs.

Décloisonner les savoirs

Sylvestre Huet : Mathieu Gervais, non je ne suis pas du tout scientiste. Pour faire vite… Par rapport à la science et par rapport au savoir, on a tous un problème, que ce soit Stéphane Le Foll, vous, moi… nous sommes tous massivement ignorants de la plupart du savoir constitué. Nous ne connaissons que notre domaine de spécialité, ce qui est vrai aussi pour les scientifiques.
La science actuelle a été produite par une hyper spécialisation des scientifiques, chacun dans leur coin, et il est désormais extrêmement difficile d’intégrer l’ensemble des savoirs existants mobilisés par la société et les technologies. C’est un problème absolument majeur pour le siècle en cours et pour lequel n’existe aucune solution facile. On ne peut pas dire : il n’y a qu’à transformer tous les citoyens en bons sachants pour savoir comment on utilise ou pas des technologies. Mais il y a deux solutions cohérentes à ce problème. La première solution consiste à revenir à la technologie d’avant 1750. Il n’y pas beaucoup de volontaires. Je connais des gens qui disent qu’il faut faire ça, mais ils écrivent avec un ordinateur. La deuxième : collectivement, nous essayons de trouver des voies nécessairement nouvelles au fonctionnement démocratique et éducatif de la société, pour essayer de mobiliser le mieux possible – ça va être difficile – ces connaissances, afin que les décisions prises par les citoyens, quand ils votent, ou par les gouvernants qui utilisent les savoirs et les non-savoirs, et les questions sans réponse. Après les crises du sang contaminé, etc. on a créé les agences d’expertise pour externaliser le conseil aux gouvernants. Rappelez-vous, quand Fabius doit prendre des décisions sur le sang contaminé, il s’adresse à son conseiller François Gros qui, tout seul, dit « il faut faire ceci, ou il faut faire cela ! » Aujourd’hui, on s’adresserait à un comité d’experts. C’est cette voie qu’il faut creuser. C’est difficile, mais je n’en vois pas d’autres.

Eddy Fougier : Madame Allain, je n’ai jamais dit qu’il n’y avait pas eu de contestation des OGM en France, mais que la prédominance de la contestation du mode de production agricole conventionnel portait, dans les années 1990, début 2000, sur les OGM alors que, aujourd’hui, elle va davantage vers l’élevage intensif, voire l’élevage, et les pesticides. Et il n’y a plus effectivement de prédominance de cette contestation des OGM puisque les faucheurs et leurs soutiens ont gagné, en France.
Ensuite, concernant votre question et me basant sur l’analyse des perceptions, une grande partie des agriculteurs considèrent que la fin des pesticides du jour au lendemain et la fin de l’élevage signeraient la fin de l’agriculture, ou d’une forme d’agriculture en France, surtout pour l’élevage.

Antoine Messéan : Sur les responsabilités du monde scientifique, je suis complètement d’accord avec Jean-Claude Bévillard. La science fait partie du régime sociotechnique, et l’Inra en particulier. En fait, ce système est verrouillé et il faut du temps pour comprendre où il est verrouillé et comment le dénouer. Il faut repenser le modèle, Stéphane Le Foll a raison, mais je ne crois pas à un consensus sur un nouveau modèle, comme dans les années 60. Nous voyons bien que nous n’y arrivons pas. Et c’est ce que je veux dire quand je demande de repartir du réel : il s’agit de favoriser les initiatives, des expériences partant d’en bas sans qu’elles soient « perturbées » ou « pénalisées » par le régime sociotechnique. Un exemple : dans le bio, si vous cherchez à diversifier vos systèmes et que vous voulez des variétés adaptées, où allez-vous les trouver ? En Autriche, parce que la réglementation française est adaptée au régime conventionnel ; donc, les variétés qui sont bonnes pour le système alternatif ne sont pas au catalogue français. Heureusement, elles reviennent via le catalogue européen. C’est là-bas qu’il faut aller les chercher.
Sur le club (politique, industrie et science) et l’histoire bis repetita… Effectivement, jusqu’à il y a une quinzaine d’années, le club a réussi à gérer le DDT. Exit le DDT, l’atrazine aussi. Mais ce club, ça ne marche plus du tout. Il faut le repenser complètement. Chacun doit changer ses pratiques, les scientifiques aussi. La façon dont on fait de la recherche aujourd’hui n’est plus adaptée. Il ne suffit pas de travailler sur les objets de l’agroécologie, car cela implique des changements profonds dans les infrastructures de recherche et dans les méthodes de travail, on n’est pas encore au bout de cette transition. C’est en cours mais il faut accélérer.

Le poids des décisions politiques

Jean-Martial Morel, paysan en Bretagne : Monsieur Le Foll, vous proposez un nouveau modèle pour alimenter un concept qui existe depuis longtemps : créer de la croissance. Nous, les paysans, on dit : non ! Si on ne crée plus de croissance, tout va se mettre en marche, la politique, l’économique, le social !

Stéphane Le Foll : Faux ! Je ne suis pas d’accord !

Jean-Martial Morel : Je me doute bien que vous n’êtes pas d’accord. Je vais quand même terminer avec Monsieur Le Foll. Je voulais le remercier, en tant que paysan bio depuis très longtemps, parce que c’est le premier ministre que je rencontre qui est capable d’écouter. Merci !

Jean-Luc Bongiovanni, producteur avicole et céréalier : Je ne suis pas persuadé que la solution viendra du consommateur. Les grands pas se font par des décisions politiques. Il faut reconnaître qu’une des rares décisions politiques, que j’ai sentie sur le terrain, c’est quand Stéphane Le Foll a pris la décision, au niveau des sols, de la rotation de culture et du couvert végétal. Et ça c’est un grand pas !
Au sujet de la luzerne, j’ai bien compris ce que vous avez dit, je travaille comme ça. On fait de la luzerne, qui est consommée par… les bovins. Sauf que tous les jours je vis le bovin comme un monstre qui pollue, qui consomme de l’eau. Voilà les contradictions et ce qu’on vit sur le terrain. 

Agnès Papone, agricultrice bio : Avez-vous pensé à analyser tout cela d’un point de vue capital confiance ? On a tellement perdu confiance dans les instances politiques, scientifiques, on le voit dans toutes les défiances, la vaccinale notamment, que parfois il faut peut-être des gestes, qui a posteriori paraissent avoir été hâtifs et peu réfléchis. Quand on cumule toutes les crises, les controverses, et qu’on arrive à des points décisionnels, des points d’inflexion, n’est-ce pas important parfois de prendre des décisions qui semblent prématurées, voire peu respectueuses de la démocratie, mais qui au final ne sont pas de mauvaises décisions ?

Un participant : Je me suis installé comme agriculteur en 1977. Depuis j’ai pris ma retraite, je n’ai plus à sortir du glyphosate. Je pense qu’il y a pas mal de gens qui vont m’arracher les yeux… J’ai utilisé en permanence du glyphosate, pour moi c’était un outil de rattrapage quand j’avais raté ma préparation pour les semis. Je précise que je suis dans le Sud, le Lauragais audois, en conditions méditerranéennes avec 700 mm d’eau. Et ce que je vois à l’heure actuelle, c’est que c’est devenu aussi un enjeu médiatique. C’est-à-dire que les céréaliers du bassin parisien développent un discours pleurnichard sur le thème : on va être ruiné parce qu’on n’a plus le glyphosate. Les gens de l’Inra disent : ça va nous donner du travail, on va travailler sur les assolements, etc. ! Si aujourd’hui je devais sortir du glyphosate, je ferais comme je faisais en 1977, avec de la mécanique.

Jean-Luc Bongiovanni : En fait, nous, agriculteurs, nous ne savons pas si le glyphosate est dangereux ou pas, si c’est bien de l’enlever ou pas. Mais en revanche, ce qu’on sait, dans la vallée de l’Adour, où on utilisait l’atrazine qui a été supprimée, c’est que notre coût de désherbage a été multiplié par quatre par les produits qui l’ont remplacée. Donc ça a été intéressant pour l’environnement peut-être, mais surtout pour ceux qui nous vendent des produits. On l’a remplacé par du métolachlore et aujourd’hui les nappes sont chargées de métolachlore. On va encore changer pour des produits plus chers et ce sera encore intéressant pour ceux qui nous vendent ces produits. Mais, au bout du compte, pour l’environnement ce n’est pas intéressant, pour l’agriculteur ce n’est pas intéressant non plus.

Confiance, où es-tu ?

Sylvestre Huet : En fait, concernant le débat sur comment on désherbe, on voit bien que nous avons un problème de partage des connaissances au niveau de l’ensemble de la société. Et on ne peut pas résoudre ce problème en disant : il y a qu’à partager tous les savoirs entre tout le monde. On n’y arrivera pas, il y a trop de savoirs à partager ! C’est là qu’intervient la question de la confiance. Il faut que nous soyons organisés, au niveau de la société politique, pour que nous puissions avoir confiance dans le fait que nos élus et nos organes d’Etat, techniques, utilisent les savoirs existants pour prendre les moins mauvaises décisions possibles, sur la base de l’intérêt général, sans rêver des meilleures. Si on n’a pas confiance en ça, on ne peut pas avoir confiance en eux. Avec cette conséquence : on n’a plus confiance en rien ni en personne. Du coup, on a une société malade.
C’est quand même extraordinaire de voir qu’en cinquante ans la société française a gagné x années de durée de vie, et en bonne santé. On devrait trouver que les choses sont formidables ! Or, nous avons une société secouée par la défiance à un niveau incroyablement élevée, par rapport aux autres pays, qui génère de la frustration, de la rancœur, de la difficulté à faire société, du rejet de l’autre…

Antoine Messéan : Pour se passer du glyphosate, la rotation des cultures ne va pas régler à elle seule le problème même si elle est un levier. Il faut que l’on travaille sur la notion de résilience des systèmes de culture, parce qu’il y a quand même des outils. Pour le dire de façon caricaturale, pendant cinquante ans, nous avons pratiqué du « hors-sol », c’est-à-dire que nous avons piloté les systèmes de culture en disant : on maximise les rendements et, après, les pesticides, l’azote, l’eau vont faire le reste et réduire fortement la dépendance au milieu.  Aujourd’hui, c’est l’inverse, il faut valoriser les interactions biologiques avec le milieu, c’est un changement de paradigme radical. On ne peut plus optimiser les systèmes comme on l’a fait car ils seront moins prévisibles par nature.  La responsabilité, pour la science c’est aussi d’arriver, à faire face à cette variabilité accrue, à anticiper les possibles, imaginer les scénarios pour accompagner les transitions. Car, au moment où les politiques veulent prendre des décisions, il faut savoir éclairer où l’on va, en tout cas sur les alternatives.


[1]L’animal est une personne (Ed. Fayard, 2014)

[2]Jérôme Fourquet : L’Archipel français. Naissance d’une nation multiple et divisée. (Seuil, 2019, 384 pages.)

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